Je découvre les acteurs publics et privés qui contribuent au maintien de la pêche profonde.
Cette consultation multipartite issue du Grenelle de la Mer était chargée de « s’assurer que les pêches en eaux profondes sont viables économiquement, socialement et écologiquement, pour que leur poursuite, éventuellement adaptée, puisse être envisagée. » Cette mission, dont les ONG ont fini par démissionner (juillet 2010), était supposée mettre en œuvre un débat objectif et rationnel, mais au lieu de cela, elle a été le théâtre de la sclérose politique par le jeu des influences.
Il en a résulté une situation pipée à la fois politiquement et scientifiquement en faveur du maintien des pêches profondes (le rapporteur scientifique de la mission a été mis en cause directement par le collège ONG pour son attitude et ses propos partiaux). Le rapport final de la mission (non validé par les ONG démissionnaires qui l’ont dénoncé comme étant indigne de la République) réussissait le tour de force de banaliser l’impact des pêches profondes contre les avis scientifiques unanimes sur la question et les textes internationaux négociés (tels que les résolutions onusiennes.) Dans sa méthode et ses résultats, cette mission s’est comportée de façon « océano-sceptique ».
BLOOM a joué un rôle de leader tout au long de la durée de la consultation pour limiter ou neutraliser la portée de ce processus en :
Lettre ouverte à Jean-Louis Borloo, le 2 novembre 2010 : version française | version anglaise Annexes au courrier de Jean-Louis Borloo : version française | version anglaise
Il a résulté de ce travail de longue haleine que le débat sur le chalutage profond a perdu son aura de tabou intouchable, instauré et maintenu jusqu’ici par des lobbies anciens.
Depuis la Mission Pêches Profondes du Grenelle de la Mer, l’ifremérien Alain Biseau ne cache plus son soutien favorable à l’industrie de la pêche profonde. Ce dernier a même signé un communiqué prenant officiellement position pour les pêches profondes, le 23 juillet 2012 (notre traduction du communiqué en anglais)
L’Ifremer a opportunément mis à jour ce dossier le 19 juin 2013, soit le lendemain de la décision du Parlement européen d’avancer ENFIN dans le débat du règlement pêche profonde, après l’avoir retardé de plusieurs mois sur manoeuvres des lobbies et des députés qui défendent leurs positions.
Les résolutions onusiennes 61/105 (2006) et 64/72 (2009) déterminent le cadre légal permettant de mener des activités de pêche profonde en haute mer (eaux internationales). Ces mesures comprennent la réalisation d’études d’impact des pêches préalablement à l’activité de pêche (cf. paragraphe 83 de la résolution 61/105) .
En septembre 2011, la Deep Sea Conservation Coalition (DSCC) a sorti une évaluation de l’application des résolutions onusiennes par les nations de pêche profonde, listant les pays qui avaient produit une étude d’impact à propos de leur activité de pêche profonde.
Il apparaît ainsi que la France n’en a pas fourni à NEAFC (l’organisation régionale des pêches pour la zone Atlantique Nord Est) son étude d’impact. Le règlement européen, quant à lui, ne prévoit aucune étude d’impact ni autre obligation en dehors du respect des quotas et des zones fermées à la pêche.
En 2009, FranceAgriMer indiquait que les espèces d’eau profonde représentaient plus de 10 % du chiffre d’affaires pour 23 bateaux, et pour 11 d’entre eux, ces espèces représentaient la majorité du chiffre d’affaires. La même note indiquait que seulement 22 bateaux débarquaient plus de dix tonnes d’espèces profondes par an et cinq bateaux en débarquaient plus de 500 tonnes.
La France connaît donc une situation particulière avec un nombre d’acteurs sur la pêche de grands fonds très restreint, principalement trois armements industriels : Scapêche (flotte d’Intermarché), Euronor et Dhellemmes.
La flotte d’Intermarché comprend un armement basé à l’Ile de la Réunion, la Comata (Compagnie maritime des Terres australes), et un autre basé à Lorient, la Scapêche (Société Centrale des Armements Mousquetaires à la Pêche).
En 2006 déjà, le directeur général de la flotte écrivait qu’elle possédait « 70 % des quotas français des espèces de grands fonds ». Depuis, il semblerait que ce ratio ait encore augmenté, mettant la Scapêche en situation de quasi monopole sur le segment de la pêche profonde.
En 2008, d’après les comptes déposés de la société, la Scapêche employait 133 personnes (dont environ 80% de navigants).
En 2010, elle possédait une flotte de 16 navires dont 14 chalutiers, un caseyeur et un bolincheur. Dans la nuit du 31 janvier 2011, l’un des fleurons de sa flotte, le navire flambant neuf « Jack Abry II » s’est échoué en Ecosse, réduisant la flotte actuelle à 15 navires. Néanmoins, le sardinier bolincheur « Mirentxu » a rejoint la flotte Scapêche en avril 2011, portant le chiffre de nouveau à 16 navires. L’armement Comata du groupe Intermarché, basé à l’Ile de la Réunion, possède en outre un palangrier ciblant la légine (30 marins). Les flottes Scapêche et Comata réunies possèdent donc un total de 17 navires actifs au 1er mai 2011.
En 213, BLOOM estime que la Scapêche réalise jusqu’à 86% des captures d’espèces profondes en France.
L’audition de Claire Nouvian sur la pêche profonde au Parlement européen en février 2013 qui révèle la non viabilité économique des flottes industrielles françaises et les subventions publiques perçues. Cela donne lieu à d’âpres débats entre députés européens.
Le bilan de BLOOM (avril 2013) pour tout connaitre sur la flotte de pêche d’Intermarché (histoire, constitution, acquisitions, subventions, absence de transparence)
La flotte de pêche industrielle Euronor (le Comptoir des Pêches d’Europe du Nord) est née en janvier 2006 du rapprochement de deux armements de Boulogne-sur-Mer, la Société Boulonnaise d’Armement Le Garrec, créée en 1920, et Nord Pêcheries, créé en 1945 et dissoute dans Euronor. Euronor emploie 215 salariés (40 à terre pour 175 navigants).
Les espèces de grands fonds ont été « découvertes » il y a 25 ans, principalement par les Boulonnais.
De 1986 à nos jours, une vingtaine de chalutiers hauturiers appartenant à ces deux armateurs ont opéré au départ de Boulogne. A partir de 1989, huit d’entre eux ciblaient en partie des espèces profondes, dont cinq spécialistes. L’armement a subi la diminution de la ressource et les baisses de quotas régulières qui augurent potentiellement d’une fermeture à terme des pêcheries profondes. Le contexte a ainsi forcé Euronor à redéployer ses activités de pêche, notamment en retournant à leur métier traditionnel du lieu noir. Avec 16 000 tonnes de captures de lieu noir par an, Euronor représente 90% du quota alloué à la France pour cette espèce.
En 2009, Euronor comprenait sept chalutiers, dont deux chalutiers de fond spécialisés en pêches profondes : le Cap Saint-Georges et le André Leduc, respectivement construits en 2003 et 2004.
En 2009, Euronor indiquait que l’armement avait une production annuelle de 15 000 tonnes de poissons en moyenne dont 23% d’espèces profondes. Les espèces profondes représentaient alors entre 2600 et 3500 tonnes dans les captures de l’armement, selon les années, soit au minimum deux fois moins que les captures profondes de la Scapêche.
En décembre 2010, Euronor a été racheté à 100% par UK Fisheries Limited, qui appartient, à parts égales, à l’armement néerlandais Parlevliet & Van der Plas et à l’islandais Samherji HF.
Depuis 2011, Euronor ne dédie plus qu’un seul navire à la pêche de grands fonds (le Cap Saint-Georges) six mois par an (au printemps). Au printemps 2012, les captures d’espèces profondes de l’armement s’étaient ainsi drastiquement réduites : 227 tonnes de lingue bleue étaient vendues à la criée de Boulogne et 164 tonnes de sabre noir, pour un chiffre d’affaires de 0,9 million d’euros. (Source Le Marin du 2 août 2012).
Au début des années 1970, les Boulonnais ciblaient essentiellement des espèces pélagiques (harengs et maquereaux) et attrapaient du lieu noir de façon saisonnière (printemps). Les bateaux profitèrent de leurs nouveaux treuils pour explorer les profondeurs situées à 800/900 m. C’est à cette époque que commença « l’époque » de la lingue bleue (les premiers débarquements français datent de 1976). A ce moment-là, les autres espèces attrapées (sébastes, lottes, grenadiers, requins etc.) n’étaient pas valorisées et étaient donc rejetées en quantités phénoménales.
La deuxième époque des grands fonds commence en 1985 avec des zones travaillées situées au-delà de 800 à 1000 m. Les espèces ciblées cette fois sont celles qui étaient autrefois rejetées (grenadier, sabre, siki…). Entre la première et la deuxième époque des grands fonds, un mareyeur boulonnais trouve le moyen de valoriser ces espèces par le biais d’une stratégie de markéting simple : les poissons sont offerts par les producteurs aux mareyeurs puis aux poissonniers à condition que ceux-ci les offrent à leur tour aux clients. Les Français réservent un accueil favorable et rapide à ces espèces étranges, filetées et renommées pour l’occasion, selon un champ lexical militaire (« empereur », « sabre », « grenadier »…).
L’armement Dhellemmes, installé depuis 1948 à Concarneau, emploie 95 personnes dont 80 navigants et comprend à l’heure actuelle onze navires dont huit en propriété pleine et trois (des bolincheurs) en copropriété. Les navires de 17 à 34 mètres (âge moyen de 23 ans) travaillent du golfe de Gascogne au Nord de l’Écosse. Parmi ces derniers, trois participent à des degrés divers aux débarquements d’espèces de grands fonds (âge moyen de 15 ans). L’armement Dhellemmes appartient au groupe hollandais Jaczon BV.
La croissance des activités de pêche profonde à Concarneau a été fulgurante : la flotte mixte y est passée de cinq unités en 1990 à 23 deux ans plus tard. Quasiment aucune d’entre elles n’était spécialisée jusqu’en 1995. En 1997, la flotte concarnoise se composait de 26 unités dont six spécialisées sur « le creux » (le profond). Ensuite de nombreux armements ont fusionné et la flotte s’est réduite petit à petit. Actuellement, Dhellemmes est le seul armement industriel encore basé à Concarneau. La flotte de l’armement a dû compter jusqu`à 20 unités de chalutiers hauturiers. En 2002, ils possédaient 12 à 13 navires sur les grands fonds contre trois en 2010
La puissance développée sur les grands fonds est de 494 Kw (le coefficient alloué pour le calcul de puissance correspond à la proportion des captures d’espèces profondes effectuées, soit 25% pour chacun des trois navires). Cela représente 8,1% de la puissance totale de l’armement et reflète l’évolution vers d’autres techniques de pêche telle que la senne danoise ainsi que le repli sur d’autres espèces. Dhellemmes a entamé une politique de diversification en 2003, en convertissant quatre chalutiers en senne danoise (Tourmalet, Larche, Galibier, Aravis).
BLOOM a évalué la politique générale présidant aux achats de poissons des six principaux groupes de distribution alimentaire (Auchan, Carrefour, Casino, E. Leclerc, Intermarché et Système U) ainsi que leur approvisionnement spécifique en poissons profonds, issus de pêches particulièrement destructrices et non durables. Relevés de terrain, questionnaires et entretiens ont complété la revue exhaustive par BLOOM de la documentation publiquement accessible.
La conclusion de cette enquête menée sur cinq mois est qu’aucune enseigne ne satisfait entièrement les critères d’évaluation de BLOOM.
BLOOM a porté une attention particulière à l’approvisionnement en espèces profondes des groupes étudiés. Là encore, Casino et Carrefour sont les meilleurs élèves grâce aux mesures qu’ils ont prises vis-à-vis de certaines espèces profondes particulièrement vulnérables comme la lingue bleue. Toutefois, la fondatrice de BLOOM se dit « déçue » par des mesures qu’elle juge « largement insuffisantes et inadaptées à l’urgence de la situation des océans profonds », impactés de façon sans doute irréversibles par les navires de pêche industrielle.
Intermarché, qui possède la plus grande flotte de chalutiers profonds industriels de France, est l’acteur de la grande distribution le moins éco-responsable et se situe de façon non surprenante en queue du classement. Pourtant, la note attribuée à Intermarché ne prend pas en compte le fait que le groupement des Mousquetaires possède des navires engagés dans la méthode de pêche décrite par les chercheurs comme la plus destructrice de l’histoire.
A l’issue des négociations onusiennes ayant abouti à l’adoption de la résolution 61/105, exigeant un registre des navires autorisés à pêcher avec des techniques entrant en contact avec le fond, la FAO a tenu un registre listant les navires autorisés à pêcher en haute mer.
13 février 2013