30 juin 2015
A l’occasion de la journée des océans, lundi 8 juin, nous vous avions demandé de proposer sur la page Facebook de BLOOM vos solutions concrètes pour mieux les préserver. Nous vous faisons aujourd’hui part des réflexions que chacune de vos idées, citées ci-dessous, nous ont inspirées :
Vous vous en doutez, un moratoire qui s’appliquerait à l’ensemble des pratiques de pêche industrielle n’est pas pour demain. Tout d’abord, il n’existe pas de limite clairement définie entre pêche artisanale (ou petite pêche) et pêche industrielle : certains engins et navires peuvent être considérés comme artisanaux à un endroit et industriels à un autre.
Au-delà du problème de définition, il faudrait trouver une solution pour indemniser/replacer les pêcheurs dont l’activité serait touchée par un tel moratoire. D’une manière plus modérée, il s’agit donc pour BLOOM de négocier des changements plus ciblés. Quelques-uns de ces changements nous tiennent particulièrement à cœur :
Cette proposition, si nous l’interprétons correctement, reviendrait à payer les pêcheurs pour qu’ils restent au port en raison de la surexploitation des ressources. Or, comme nous l’avons vu dans la question précédente, c’est bien un effort de pêche trop grand qui est responsable de la surexploitation de ressources. Nous préférerions donc que les subventions néfastes soient réallouées à des formations et programmes qui permettraient de réduire efficacement l’effort total de pêche, par exemple en orientant la pêche vers des métiers plus sélectifs plutôt que d’indemniser les pêcheurs mis au chômage à cause de la surexploitation des ressources. Nous sommes cependant conscients du fait que pêcher demeure dans beaucoup de cas une passion et qu’il sera donc extrêmement difficile de faire accepter le replacement social comme une solution à la surpêche. La diminution de l’effort de pêche reste pourtant la seule vraie solution à long terme.
Le braconnage des mers au travers des activités de pêche illicites a déjà été signalé et condamné par de nombreuses instances internationales (UE[7], FAO[8]) comme devant faire l’objet d’une attention particulière. Les organisations régionales de gestion des pêches publient régulièrement des listes noires de navires pratiquant des activités illégales, mais aussi de pays qui feignent d’ignorer ces activités.
Cependant, les amendes sont la plupart du temps dérisoires et les moyens de contrôle faibles par rapport à l’étendue des zones pêchées illégalement. Ces listes se révèlent donc peu efficaces.
L’agence de renseignements internationale INTERPOL répertorie également les navires recherchés pour pêche illégale,[9] mais c’est l’ONG Sea Shepherd qui a récemment réalisé un travail conséquent en permettant aux autorités d’arrêter six de ces navires.[10] INTERPOL a également initié le projet SCALE qui vise à éradiquer le crime organisé (pêche illégale, trafic d’êtres humains, de drogues et d’armes) dans le secteur de la pêche.[11] D’autres projets, comme Eyes on the Sea soutenu par l’ONG américaine The Pew Charitable Trusts, ont pour but de lutter contre la pêche illégale en utilisant les données fournies par les satellites.[12]
Le rôle des « observateurs en mer » tel qu’établi par l’UE n’est pas de sanctionner, mais de recueillir des données scientifiques sur les activités de pêche. Les observateurs embarqués, bien qu’ils ont le droit de noter les infractions, ne peuvent en aucun cas établir de contravention.[13] De plus, dans l’état actuel des choses, les données recueillies par les observateurs ne sont pas librement accessibles. Il est difficile de les obtenir puisqu’elles sont la propriété du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, qui les transmet ensuite aux organismes de recherche nationaux tels que l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer).[14]
En 2013, sur l’ensemble des façades maritimes de France métropolitaine, 463 navires (soit 11% de la flotte en activité) ont accueilli des observateurs à leur bord. Cela a permis de collecter des informations sur 965 marées (soit 0,3% des marées déclarées dans les livres de bord et fiches de pêche ou associées à des ventes en 2013).[15]
Ces chiffres sont donc encore très faibles, pour ne pas dire dérisoires, et il nous semble impossible d’embarquer des observateurs sur 100% des bateaux. De plus, quel est le réel « pouvoir de dissuasion » d’un observateur sur un navire de 50 ou 100m de long ? Certaines pêcheries comme celle à la légine dans les TAAFs imposent deux observateurs à bord, mais est-ce suffisant ? D’autres solutions technologiques, beaucoup moins onéreuses et potentiellement plus efficaces, pourraient s’imposer. La surveillance par satellite[16] ou par drone[17] pourraient faire partie des solutions, tout comme l’installation de caméras à des endroits stratégiques du bateau avec streaming continu du flux vidéo sur un site internet public.[18],[19]
Excellente idée ! Souvent non comptabilisés, les rejets d’espèces non-ciblées sont officiellement estimés à 8% des captures mondiales. Ce chiffre correspond à une moyenne et les rejets varient beaucoup en fonction des engins de pêche utilisés.[20] Les pêcheries au chalut ciblant les crevettes et poissons démersaux (de fond) représentent à elles seules plus de 50% des rejets estimés (alors que ces activités ne représentent que 22% des débarquements). En Europe, il a été estimé que 40 à 60% des captures pouvaient être rejetées par les chalutiers de la mer du Nord; et 30% par les chaluts de fond en Atlantique Nord-Est.[21] De manière générale, les pêcheries artisanales produisent moins de rejets que les pêcheries industrielles.[22],[23]
Privilégier l’usage d’engins de pêche sélectifs nous semble donc relever du bon sens et c’est une mesure qui est maintenant inscrite dans la Politique commune de la pêche, le texte de loi qui gouverne la pêche au niveau européen.[24] Cela a également été suggéré par la FAO en 1995 dans son code de conduite pour une pêche responsable.[25]
Pourtant, comme aucun de ces textes ne s’accorde à fournir une liste d’engins non sélectifs, libre interprétation est donnée aux entreprises de pêche de ce qu’est la sélectivité ; les décisions prises ne sont donc pas à la mesure de l’ampleur du problème des rejets.
De nombreux programmes de recherche existent également pour augmenter la sélectivité des chaluts en modifiant la taille/forme des mailles par exemple.[26] Pour les pêcheries crevettières, des aménagements du filet ont été réalisés pour éviter les captures accidentelles de tortues mais aussi, dans une certaine mesure, les poissons non désirés. Malheureusement, trop peu d’efforts sont réalisés pour aider certains métiers artisanaux qui sont par nature les plus sélectifs, comme les ligneurs, les caseyeurs, ou encore les pêcheurs à pieds. On en revient toujours au problème des subventions, qui vont majoritairement au secteur industriel.
D’une manière générale, il faut savoir que le nombre de navires en France ne cesse de chuter : il a presque diminué de moitié entre 1990 et 2012 (avec une puissance de flotte qui a augmenté de 12%).[27] Pendant cette période, 2/3 des emplois ont été perdus. En parallèle, cependant, le tonnage moyen par marin a été multiplié par 2,5 et la puissance de pêche par marin a plus que doublé.[28] Pendant que cet effort de pêche augmentait, la biomasse disponible de poisson n’a cessé de diminuer.[29]
En ce qui concerne la flotte de chalutiers, si celle-ci ne représente qu’un tiers de la flotte française en nombre,[30] elle représente un poids économique important. Sur l’année 2012, les chalutiers et senneurs de fond de 12-24m représentaient 75% du chiffre d’affaire total des pêches françaises et 65% du montant (57% en tonnage) des ventes déclarées en halles à marée.[31],[32] Pour l’instant, il n’y a pas de volonté politique au niveau français d’orienter la pêche vers un modèle avec moins de chalutage. Au contraire, le récent rapport de l’inspection générale des finances sur le renouvellement de la flotte de pêche française, mandaté par le ministre de l’Economie et des finances et le ministre délégué chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche suggère « de concentrer la stratégie de l’Etat sur l’optimisation de la consommation des quotas attribués, en menant une politique de soutien au renouvellement de la flotte artisanale hauturière (flotte composée de navires de pêche de 12 à 25m de long), notamment celle des chalutiers de 12 à 24m pourvoyeuse d’emplois et de volumes débarqués, tout en assurant sa profitabilité. »[33] Une solution de sortie progressive de ce modèle comme vous le proposez, avec non-renouvellement des licences et formation des marins vers des techniques moins impactantes, serait toutefois la plus souhaitable selon nous.
C’est effectivement une excellente solution pour dissuader les pêcheurs de débarquer du poisson dont la commercialisation est interdite, mais trop peu de contrôleurs de pêche sont actuellement présents sur les ports. L’association Black Fish a mis en place un réseau de volontaires pour venir en soutien aux contrôleurs de pêche illégale sur les ports européens[34] et ont même signé un partenariat officiel avec les garde-côtes italiens.[35]
Cependant la surveillance dans les ports ne règle pas la question des rejets, d’où l’importance d’avoir également un moyen efficace d’observer les activités en mer et de favoriser l’utilisation d’engins sélectifs (cf questions précédentes).
Effectivement, diminuer, voire exclure les protéines animales de son alimentation est l’une des solutions les plus efficaces. Elle demeure à la portée de tout citoyen qui souhaite cesser de contribuer à la destruction des océans. Attention toutefois à ne pas remplacer ce poisson par de la viande qui, en plus d’être une des causes majeures du réchauffement climatique,[36] contribue également à la surexploitation mondiale de certaines espèces de poisson. En effet, environ 30% des poissons pêchés dans le monde sont du « poisson fourrage », c’est-à-dire de la nourriture pour le bétail, les saumons d’élevage et les animaux domestiques. [37] Cette surpêche de poisson fourrage présente également un fort impact négatif sur les populations d’oiseaux marins et les cétacés.[38] Il faut également faire attention à ne pas reporter sa consommation de protéines sur d’autres produits issus de l’agriculture intensive et à fort impact sur l’environnement (ex. soja issu de la déforestation).[39]
Notez aussi que depuis fin décembre 2014, l’affichage de l’engin de pêche (senne, filet, chalut, ligne, drague, casier, pêche à pied ou plongée) est obligatoire pour le poisson vendu en Europe.[40] N’hésitez pas à poser des questions à votre poissonnier si ce n’est pas le cas.
De nombreuses ONG ont déjà réalisé des guides de consommation de poisson (compilés par BLOOM ici). Il existe aussi des applications, parfois imparfaites mais néanmoins intéressantes à parcourir, comme Planet Ocean créé par la Fondation Goodplanet[41] ou Seafood Watch à l’initiative de l’aquarium de Monterey Bay en Californie.[42]
Nous n’avons pas fait le nôtre car nous ne pensons pas que de tels guides attribuant une couleur par espèce soient une vraie solution. Ceci pour plusieurs raisons : a) le maintenir à jour est éminemment complexe car les poissons sont des ressources sauvages. Les populations peuvent fortement varier d’une année et d’un endroit à l’autre ; b) si tous les consommateurs cessaient de consommer une espèce « rouge » pour se reporter sur une « verte », cette dernière deviendrait vite « rouge » ; c) le message principal que nous souhaitons véhiculer est qu’il faut réduire notre consommation de protéines animales et que si l’on veut manger du poisson, nous devons alors privilégier les espèces capturées avec des engins sélectifs (lignes, casiers), et des espèces en bas de la chaîne alimentaire comme les sardines ou les anchois.
La vente directe est, à l’instar des AMAP en agriculture, un système d’approvisionnement qui offre l’avantage de la proximité et qui instaure une relation de confiance entre consommateurs et producteurs. Pour la région Bretagne il existe une carte (non-exhaustive) des ligneurs adhérents à l’association des ligneurs de la pointe de Bretagne.[43] A notre connaissance, ce type de liste n’existe pas pour les autres régions, mais, si vous habitez près du littoral, vous trouverez certainement sur internet les sites de vente directe de votre région. Pour les parisiens, la vente directe existe aussi dans une moindre mesure, avec par exemple les paniers de la mer de l’association Poiscaille.[44]
Les sardines sont effectivement des espèces de surface. Malheureusement, la surpêche ne touche pas seulement les espèces ciblées par le chalutage en eaux profondes. C’est un problème beaucoup plus global.
Les sardines sont considérées comme moins sensibles à la surpêche car ce sont des petits poissons qui se reproduisent rapidement et ont une durée de vie assez courte. Avec d’autres petits poissons comme les anchois, les sardines sont cependant très sensibles à l’environnement et peuvent donc voir leurs populations s’effondrer rapidement, d’autant plus si l’effort de pêche est déjà important. Cela s’est déjà produit pour certaines pêcheries, comme celle de Californie au milieu du XXème siècle. Actuellement, la pêcherie de sardine en Bretagne Sud, certifiée MSC depuis 5 ans, inquiète certaines ONG qui s’étaient opposées à sa certification à l’époque.[45]
[1] www.bloomassociation.org/les-avis-scientifiques.
[2]www.bloomassociation.org/decryptage-des-rapports-de-lifremer-sur-les-activites-de-chalutage-profond-des-navires-francais.
[3] Voir le documentaire de BLOOM « INTOX: Enquête sur les lobbies de la pêche industrielle » www.youtube.com/watch?v=nGo69qwRBmc.
[4] www.pewtrusts.org/en/about/news-room/news/2015/06/10/deep-sea-corals-win-historic-protection.
[5] Halpern (2014) Making marine protected areas work. Nature 506: 167-168.
[6] http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0129075.
[7] http://ec.europa.eu/fisheries/cfp/illegal_fishing/index_fr.htm.
[8] www.fao.org/docrep/003/y1224e/y1224e00.htm.
[9] www.interpol.int/fr/Centre-des-médias/Nouvelles/2013/PR024.
[10]www.lemarin.fr/secteurs-activites/peche/22070-legine-les-six-navires-braconniers-tous-localises-voire-neutralises.
[11] www.interpol.int/fr/Crime-areas/Environmental-crime/Projects/Project-Scale.
[12] www.bloomassociation.org/wp-content/uploads/2015/06/SVIE_1173_112_113_Futur.pdf.
[13] Porter (2010) Fisheries observers as enforcement assets: Lessons from the North Pacific. Marine Policy 34: 583-589.
[14] http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/psn.pdf.
[15] http://archimer.ifremer.fr/doc/00247/35856/34377.pdf.
[16] http://globalfishingwatch.org.
[17] www.thefishsite.com/fishnews/24588/the-use-of-drones-for-tackling-illegal-fishing.
[18] www.bbc.com/news/science-environment-21577927.
[19] http://news.stv.tv/north/121540-cctv-on-fishing-boats-hailed-success-in-denmark.
[20] Kelleher (2005) Discards in the world’s marine fisheries: an update. FAO Fisheries Technical 470, Food and Agricultural Organization, United Nations, Rome (Italy). 131 p, Ibid. Kelleher (2005).
[21] STECF. Discards from community vessels report of the scientific, technical and economic committee for fisheries (STECF). Commission Staff Working Paper Brussels; 2006: p. 56. (http://ec.europa.eu/fisheries/cfp/fishing_rules/discards/ official_documents/stecf_2006_discards_report.pdf).
[22] Chuenpagdee, et al. (2003) Shifting gears: assessing collateral impacts of fishing methods in US waters. Frontiers in Ecology and the Environment 10(1): 517-524.
[23] Jacquet and Pauly (2008) Funding priorities: big barriers to small-scale fisheries. Conservation Biology 22(4): 832-835.
[24] Régulation (EU) N° 1380/2013 du parlement européen et du conseil du 11 décembre 2013 sur la Politique Commune de la Pêche.
[25] FAO (1995) Code of conduct for responsible fisheries. Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO), Rome (Italy). 41 p.
[26] wwz.ifremer.fr/peche/Les-defis/Les-pistes/Selectivite.
[27] E Leblond et al. (2014) Synthèse des flottilles de pêche 2012 – Flotte de Mer du Nord – Manche – Atlantique, flotte de Méditerranée. Institut de Recherche pour l’Exploitation de la Mer (IFREMER), Issy-les-Moulineaux (France). 292 p.
[28] Villasante S (2010) Global assessment of the European Union fishing fleet: an update. Marine Policy 34(3): 663-670.
[29] Guénette S and Gascuel D (2012) Shifting baselines in European fisheries: the case of the Celtic Sea and Bay of Biscay. Ocean and Coastal Management 70(0): 10-21.
[30] http://archimer.ifremer.fr/doc/00248/35971/34497.pdf.
[31] http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/chiffres-cles-2014-V7.pdf.
[32] www.franceagrimer.fr/content/download/38116/350781/file/MAI2015chiffres_cles_peche-aquaculture.pdf.
[33] Deprost and Suche (2014) Le renouvellement de la flotte de pêche. Inspection Générale des Finances. 170 p.
[34] http://theblackfish.org/cin.
[35] http://theblackfish.org/news/italian-coastguard-partnership/
[36] Vermeulen SJ et al. (2012) Climate change and food systems. Annual Review of Environment and Resources 37(1): 195-222.
[37] www.reporterre.net/Climat-l-agriculture-est-la-source.
[38] PM Cury et al. (2011) Global seabird response to forage fish depletion – one-third for the birds. Science 334: 1703-1706.
[39] http://www.slate.fr/story/12137/le-tofu-est-il-vraiment-ecolo
[40]http://ec.europa.eu/fisheries/documentation/publications/eu-new-fish-and-aquaculture-consumer-labels-pocket-guide_fr.pdf.
[41] http://www.goodplanet.org/ocean/consommer-responsable/appli-mobile/
[42] http://www.seafoodwatch.org/seafood-recommendations/our-app
[43] http://pointe-de-bretagne.fr/carte-ligneurs-pointe-bretagne.
[45] http://bloomassociation.org/download/6_mai2010_Motion_bolinche_MSC_finale.pdf.