02 janvier 2011
Pêche Profonde : Quel est le problème ?
Environ 80% de la pêche profonde dans le monde est menée avec des chaluts profonds, une méthode de pêche extrêmement destructrice qui consiste à tirer d’immenses filets lestés sur les fonds marins. Les chaluts profonds arrachent tous les organismes constituant le relief sous-marin qui se trouvent sur leur passage ainsi que l’ensemble des espèces rencontrées. Le tri des poissons qui seront conservés pour commercialisation est réalisé à bord, avec une énorme déperdition puisqu’en moyenne, environ la moitié du contenu du filet est rejeté à la mer.
Cette méthode de pêche non sélective est considérée par les chercheurs, les ONG ainsi que les Nations Unies ou le Conseil international pour l’exploration de la mer (le « CIEM » est chargé d’émettre les avis scientifiques pour la gestion des pêches européennes) comme la méthode de pêche la plus destructrice qui existe de nos jours.
En 2004, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP) déclare le chalut l’engin le plus destructeur d’entre toutes les techniques de pêche :
« Les engins traînants qui entrent en contact avec le fond marin sont considérés comme la plus grande menace pour les récifs coralliens d’eau froide et cela comprend les chaluts de fond, les dragues, les filets maillants de fond, les palangres et les casiers et pièges … En raison de leur utilisation généralisée, les chaluts de fond ont, de tous les engins de pêche existants, l’effet le plus perturbateur sur les fonds marins en général et les écosystèmes coralliens en particulier. »
Une étude récente a montré qu’en une seule année, la pêche profonde avait un impact cumulé des centaines ou milliers de fois plus important que toutes les autres activités humaines en plusieurs années. (Angela R. Benn et al., Human Activities on the Deep Seafloor in the North East Atlantic: An Assessment of Spatial Extent. PLoS One, September 2010 | Volume 5 | Issue 9.)
Voir une vidéo montrant la poche pleine d’un chalut remonté des grands fonds : http://www.youtube.com/watch?v=XcbEIQWQWP4
Le chalutage est apparu au XIVème siècle (en France en 1370) et a tout de suite été perçu comme un engin de destruction. En 1376, seulement six années après son introduction, les pêcheurs au casier (les « caseyeurs ») envoient une pétition au roi Edouard III à propos du déclin des populations de poissons engendré par cette nouvelle technique de pêche, mais le chalut n’est pas interdit.
L’apparition du moteur à vapeur fait exploser la flotte de chalutiers : en Angleterre, elle passe de 130 bateaux dans les années 1840 à plus de 800 en 1860. Des milliers de pêcheurs (utilisant des lignes, des filets, des casiers) s’opposent à l’avènement du chalutage ; des troubles éclatent en Angleterre et en Irlande. Une commission royale est nommée en 1863, mais en l’absence d’expertise scientifique, elle tire les mauvaises conclusions de l’enquête : l’efficacité destructrice de la méthode de pêche est reléguée à un point de détail par rapport à l’impressionnant volume de poissons pêchés. Les conclusions ignorent la destruction de l’habitat, des juvéniles, des lits d’appâts (moules etc.) et les rejets engendrés par cette technique de pêche. La conclusion de la commission est qu’une « liberté totale de pêcher est permise », le « laisser-faire » est en place, la fenêtre historique de préservation des océans mondiaux est ratée. La courte vision de cette commission n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé en France dans le processus issu du Grenelle de la mer et décrié par les ONG (dont elles ont dû démissionner) : la « Mission Pêches Profondes ».
Pour en savoir plus : cliquez ici
L’activité de chalutage profond a démarré à la fin des années 1970, à un moment où les grands fonds, ainsi que les ressources halieutiques qui s’y trouvent étaient encore largement inconnus de la science. À un moment aussi où les aides publiques à la modernisation des flottes de pêche et particulièrement à la construction des navires étaient fastes. La courbe d’exploitation des espèces profondes et la preuve que l’impact écologique infligé aux écosystèmes était dévastateur et sans précédent a depuis mis à mal le mythe de la durabilité des stocks profonds. La « 3ème révolution » du chalutage est la dernière phase qui s’est ouverte avec les pêches profondes. C’est en quelque sorte le troisième et le plus grand ratage d’une fenêtre historique pour éviter la destruction systématique et planétaire des fonds marins et leur réduction à de vastes plaines au relief gommé.
Le chalutage profond constitue une « dette naturelle odieuse » des Etats auprès des peuples qu’ils gouvernent et auprès desquels ils représentent les garants de l’intérêt commun.
Le concept de dette naturelle odieuse est adapté de celui de “dette odieuse” d’Alexander Sack. Celle-ci se définit comme une dette contractée par un régime, et qui sert à financer des actions contre l’intérêt des citoyens de l’État et dont les créanciers avaient connaissance. Dans cette optique, ces dettes sont considérées comme celles du régime qui les a contractées, et non pas de l’État en entier.
Pour en savoir plus sur les différentes techniques de pêche au chalut, consulter les pages de l’IFREMER, très instructives à ce sujet : http://wwz.ifremer.fr/peche/Le-monde-de-la-peche/La-peche/comment/Les-engins/Chalut-de-fond
Pour en finir avec le mythe des impacts « faibles » du chalutage profond