Le chalutage est apparu au XIVème siècle (en France en 1370) et a tout de suite été perçu comme un engin de destruction. En 1376, seulement six années après son introduction, les pêcheurs au casier (les « caseyeurs ») envoient une pétition au roi Edouard III à propos du déclin des populations de poissons engendré par cette nouvelle technique de pêche, mais le chalut n’est pas interdit.
L’apparition du moteur à vapeur fait exploser la flotte de chalutiers : en Angleterre, elle passe de 130 bateaux dans les années 1840 à plus de 800 en 1860. Des milliers de pêcheurs (utilisant des lignes, des filets, des casiers) s’opposent à l’avènement du chalutage ; des troubles éclatent en Angleterre et en Irlande. Une commission royale est nommée en 1863, mais en l’absence d’expertise scientifique, elle tire les mauvaises conclusions de l’enquête : l’efficacité destructrice de la méthode de pêche est reléguée à un point de détail par rapport à l’impressionnant volume de poissons pêchés. Les conclusions ignorent la destruction de l’habitat, des juvéniles, des lits d’appâts (moules etc.) et les rejets engendrés par cette technique de pêche. La conclusion de la commission est qu’une « liberté totale de pêcher est permise », le « laisser-faire » est en place, la fenêtre historique de préservation des océans mondiaux est ratée. La courte vision de cette commission n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé en France dans le processus issu du Grenelle de la mer en 2009 et décrié par les ONG (dont elles ont dû démissionner) : la « Mission Pêches Profondes ».
L’activité de chalutage profond a démarré à la fin des années 1970, à un moment où les grands fonds, ainsi que les ressources halieutiques qui s’y trouvent étaient encore largement inconnus de la science. À un moment aussi où les aides publiques à la modernisation des flottes de pêche et particulièrement à la construction des navires étaient fastes. La courbe d’exploitation des espèces profondes et la preuve que l’impact écologique infligé aux écosystèmes était dévastateur et sans précédent a depuis mis à mal le mythe de la durabilité des stocks profonds. La « 3ème révolution » du chalutage est la dernière phase qui s’est ouverte avec les pêches profondes. C’est en quelque sorte le troisième et le plus grand ratage d’une fenêtre historique pour éviter la destruction systématique et planétaire des fonds marins et leur réduction à de vastes plaines au relief gommé.
Le chalutage profond constitue une « dette naturelle odieuse » des Etats auprès des peuples qu’ils gouvernent et auprès desquels ils représentent les garants de l’intérêt commun.
Le concept de dette naturelle odieuse est adapté de celui de “dette odieuse” d’Alexander Sack (Les effets des transformations des états sur leurs dettes publiques et autres obligations financières; traité juridique et financier, par A.-N. Sack). Celle-ci se définit comme une dette contractée par un régime, et qui sert à financer des actions contre l’intérêt des citoyens de l’État et dont les créanciers avaient connaissance. Dans cette optique, ces dettes sont considérées comme celles du régime qui les a contractées, et non pas de l’État en entier.