25 octobre 2016
Alors que le chalutage de fond vient d’être interdit en Europe au-delà de 800 mètres de profondeur en raison de son incontestable destructivité, le label de « pêche durable » Marine Stewardship Council (MSC) n’a rien trouvé de mieux à faire que de certifier une pêcherie ciblant une espèce emblématique de la surpêche : l’empereur. Cette espèce n’atteint sa maturité sexuelle qu’autour de 30 ans et peut vivre jusqu’à 150 ans, ce qui la rend en effet très vulnérable à la pêche.
Plusieurs ONG ont donc déposé en juin dernier une objection formelle à la certification de la pêcherie d’empereurs en Nouvelle-Zélande et la procédure d’arbitrage final s’achève aujourd’hui à Londres, au siège du MSC. Lors de ce processus, la Deep Sea Conservation Coalition (rassemblant plus de 70 ONG), Greenpeace, BLOOM, Environment and Conservation Organisations of Aotearoa New Zealand (ECO-NZ) et le WWF ont démontré pourquoi cette pêcherie ne pouvait en aucun cas être considérée comme « durable ». Ils ont par ailleurs fait la lumière sur de nombreuses erreurs de procédure survenues durant le processus d’évaluation MSC, un problème récurrent qui questionne la crédibilité de ce label.
L’impact négatif de cette pêcherie sur la population d’empereurs aurait dû suffire à l’organisme chargé de l’évaluation, le cabinet MRAG,[1] pour conclure que celle-ci ne répondait pas au principe numéro un du cahier des charges du MSC : « le stock[2] est en bonne santé ».
En effet la population d’empereur a connu un phénomène classique avec les pêcheries de grands fonds de « boom and bust » (pêche miraculeuse pendant quelques années puis diminution très rapide de la taille de la population). À la fin des années 1990, la population d’empereurs n’était plus qu’à 15-20% de son niveau d’origine et ne s’est pas reconstituée depuis.
Une évaluation objective de la pêcherie d’empereurs aurait également reconnu l’impact désastreux du chalutage profond sur les écosystèmes, particulièrement autour des monts sous-marins où les pêcheries d’empereurs sont actives, ainsi que sur les prises accessoires comprenant des espèces en voie de disparition dont des requins de grands fonds.
Selon le MSC, l’indépendance de la certification est garantie par le fait qu’un organisme externe évalue la pêcherie candidate à une certification. Cependant, comme l’ont souligné de nombreux critiques du MSC, les certificateurs étant payés directement par les pêcheries, l’incitation à se prononcer en faveur de leurs clients est très forte.
Claire Nouvian de BLOOM déclare « Il n’y a rien de durable dans une pratique de pêche qui détruit des habitats extrêmement fragiles pour capturer des espèces qui ne se reconstituent pas après exploitation. Si le MSC certifie la pêcherie d’empereur, les consommateurs devront remettre en cause la confiance qu’ils font au label. Qu’est-ce que le MSC qualifiera de « durable » ensuite ? La pêche de tortues marines ? Ce business de la certification est devenu hors de contrôle ».
L’arbitrage final se fait par un « arbitre indépendant » nommé et rémunéré par le Marine Stewardship Council qui, après avoir interrogé des représentants des différentes parties[3] pendant deux jours, rendra une décision publique dans quelques semaines.
Depuis les années 1980, l’exploitation intensive des eaux néozélandaises a provoqué une baisse drastique des populations de poissons d’eau profonde, particulièrement vulnérables à la surpêche. L’impact du chalutage profond sur les écosystèmes et les habitats est désastreux, en particulier autour de monts sous-marins où les pêcheries d’empereur opèrent. De plus, les captures accessoires comprennent des espèces en voie de disparition dont des requins de grands fonds. Enfin, le système de gestion des flottes industrielles de grands fonds doit encore prouver qu’elle a su adopter une approche de précaution.
Non seulement MRAG a attribué des scores supérieurs à 80% pour le principe 1 (« état du stock en bonne santé ») aux trois « unités de certification » (c’est-à-dire à trois stocks distincts) de la pêcherie d’empereurs, alors que leur « bon état » est bien loin d’être respecté. De plus, MRAG n’a — à tort — pas fait échouer la pêcherie sur les principes 2 (peu d’impact sur l’écosystème marin) et 3 (bonne gestion de la pêcherie).
La Deep Sea Conservation Coalition, Greenpeace, BLOOM, ECO-NZ et le WWF ont tout au long de l’évaluation (une visite sur site et des consultations à diverses étapes) fourni des preuves et ont exprimé des préoccupations au sujet de la pêcherie d’empereur. Lorsque l’organisme de certification MRAG a, au terme de l’évaluation, donné un avis favorable à la certification, les ONG n’ont eu d’autre choix que de se partager les frais (5000 £ – livres) pour présenter une objection formelle à la certification.
Au cours du processus d’évaluation de l’empereur, la relation entre MRAG et son client (le Deepwater Group) a semblé plutôt fusionnelle. MRAG a sans arrêt donné une interprétation des critères favorable aux clients, et a ignoré ou mal interprété les informations scientifiques pertinentes tout au long de l’analyse. Ils ont donné des scores extrêmement généreux à tous les critères de sorte que la pêche pourrait franchir le seuil requis pour être certifiée.
Ce que cette récente évaluation reflète est l’incapacité persistante du MSC à répondre de manière adéquate aux nombreuses critiques de ses normes et procédures, beaucoup trop rigides. Bien que le terme « durabilité » soit difficile à définir pour la pêche, certaines pratiques telles que le chalutage profond sont clairement qualifiées de non-durables. La langue de bois du MSC à ce propos, pour s’assurer de ne pas perdre des contrats lucratifs, doit cesser.
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[1] Le MSC produit un cahier des charges mais n’évalue pas lui-même les pêcheries candidates. Ces dernières choisissent un cabinet de certification extérieur (MRAG, Bureau Veritas, …) qui va alors utiliser le cahier des charges du MSC pour décider ou non si son client peut être certifié ou non.
[2] Un « stock » correspond à une fraction de la population entière d’une espèce. Par exemple, le stock de bar en Mer du Nord est distinct de celui du Golfe de Gascogne. En gestion des pêches, chaque stock est considéré comme une unité de gestion à part.
[3] Les deux parties ayant soumis une objection : WWF et le groupe DSCC-Greenpeace-BLOOM-ECO-NZ ; la pêcherie cliente : Deepwater Group ; et l’organisme de certification : MRAG
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La réponse du MSC à notre communiqué de presse à lire ici.
La crédibilité de l’écolabel « MSC pêche durable » de nouveau mise à mal
Le label “Pêche Durable” du MSC trop indulgent, selon une nouvelle étude