08 juillet 2014
La publication de données inédites révèle les contrevérités des autorités françaises sur la pêche profonde et une position injustifiable de la France sur la réforme du règlement européen
Le 2 juillet 2014, l’Ifremer a rendu publiques des données sur les activités de pêche profonde en France que les ONG réclamaient depuis le Grenelle de la Mer en 2009 ! Avec le lancement en juillet 2012 de la réforme du règlement encadrant la pêche en eaux profondes en Europe, ces données étaient devenues indispensables pour éclairer le débat public sur les implications qu’aurait l’une des mesures phare de la proposition législative de la Commission européenne : l’interdiction du chalutage profond. Or malgré les demandes répétées des ONG visant à connaître le nombre exact de chalutiers de fond œuvrant au-delà de certaines profondeurs, le secrétariat d’Etat à la pêche et la Direction des pêches maritimes et de l’aquaculture (DPMA) ont refusé la coopération et la transparence.
En exigeant la publication des données[1], la ministre de l’Ecologie Ségolène Royal a mis fin au règne de l’opacité et permis des révélations d’envergure. Le document confirme ce que les ONG soupçonnaient : le gouvernement et l’administration ont masqué la réalité des faits, y compris devant la représentation nationale, en affirmant que les navires qui seraient affectés par le règlement étaient « en nombre très important »[2]. Le rapport de l’Ifremer conclut au contraire que « le nombre de navires ayant une activité au chalutage de fond en eaux profondes est faible ». En effet, en 2012 seuls 12 chalutiers français fréquentaient des profondeurs de plus de 600 mètres plus de 10% de leur temps et seulement 10 d’entre eux pêchaient au-delà de 800 mètres de profondeur[3] ! En prenant un seuil de 10 heures d’activité par an (soit une journée de pêche annuelle !), le nombre de navires chalutant au-delà de 800 m de profondeur n’était que de 26 !
Il faut ajouter à cela qu’Intermarché a annoncé en janvier 2014 que ses six chalutiers spécialisés en espèces profondes ne traineraient plus leurs filets au-delà de 800 mètres de profondeur à partir de 2015. L’engagement de l’enseigne s’étend en outre aux trois chalutiers rachetés à Dhellemmes en juin 2014 qui disposent d’un permis de pêche pour les espèces profondes[4]. Cela signifie que si l’interdiction du chalutage profond intervenait aujourd’hui à partir de 800 mètres de profondeur, seul un navire français serait concerné par la réglementation.
« Les informations agrégées par l’Ifremer prouvent que les élus socialistes de Bretagne ou du Nord Pas-de-Calais, à commencer par le secrétaire d’Etat à la pêche Frédéric Cuvillier, ont menti en martelant que l’interdiction du chalutage profond aurait « de très lourdes conséquences socio-économiques »[5]. C’est faux. Aujourd’hui, Frédéric Cuvillier défend l’activité d’un seul bateau. Et encore, celui-ci ne pêche en profondeur qu’un tiers de son temps… » commente Claire Nouvian, fondatrice de BLOOM, dont la pétition contre le chalutage profond atteint des records historiques avec près de 860 000 signataires à l’heure actuelle.
« La position défendue jusqu’ici par la France sur le dossier pêche profonde n’est pas seulement ridiculisée et indigne, elle relève d’un véritable scandale qui abime autant l’image de notre nation à l’étranger que celle des élus socialistes. Cette situation n’est plus tenable » ajoute François Chartier de Greenpeace.
Et ce n’est pas tout. Les données révèlent également la face noire de la pêche profonde au chalut. Les ONG réclamaient depuis 2009 des informations détaillées sur les espèces capturées par les chalutiers. Maintenant que les données d’observateurs sont enfin publiques, les ONG comprennent pourquoi elles ont été si longtemps masquées. Il apparaît que des espèces menacées d’extinction figurent parmi les prises accessoires les plus importantes des chalutiers français ! En 2012, les requins profonds représentent ainsi près de 6% des captures totales des chalutiers profonds français et plus de 30% des rejets totaux. Sur les 13 espèces de requins pour lesquelles des données sont disponibles, 11 (soit 85% des espèces de requins capturées) ont un statut UICN qui les place dans une zone à risque d’extinction ; 232 770 kilos de requins profonds, comprenant une majorité d’espèces menacées d’extinction, ont été capturés et rejetés morts par-dessus bord par les navires français opérant en eaux profondes. Le squale chagrin de l’Atlantique[6], une espèce en danger d’extinction dans l’Atlantique Nord-Est, est même la 10ème espèce la plus capturée par les chalutiers en volume et la 3ème espèce la plus rejetée parmi les prises « accessoires » des navires.
« En s’opposant à l’interdiction du chalutage profond en Europe, le gouvernement français défend une pratique de pêche qui capture des espèces menacées d’extinction. Ce n’est pas seulement politiquement mais éthiquement intenable. La France doit réviser sa position, elle n’a plus le choix » conclut Philippe Germa, directeur général du WWF.
La présidence italienne a demandé aux Etats membres de l’UE de confirmer leur position sur le règlement pêche profonde d’ici le 15 juillet. Les ONG attendent désormais de la France qu’elle soutienne clairement l’interdiction du chalutage profond et qu’elle le fasse savoir publiquement. Dans une lettre ouverte elles en appellent à la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, vers laquelle tous les espoirs sont maintenant tournés.
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PJ : la note de décryptage faite par les ONG des données de l’Ifremer.
Lire les deux rapports de l’Ifremer : le rapport sur la profondeur des zones chalutées et le rapport sur les espèces capturées.
Plus de 300 chercheurs internationaux soutiennent la proposition d’interdiction du chalutage profond : http://www.bloomassociation.org/declaration-de-soutien-pour-proteger-les-eaux-profondes-des-peches-destructrices/
La New Economics Foundation a calculé que chaque tonne de poisson profond capturé à l’aide d’un chalut de fond représentait un coût en subventions de 388 à 494 € pour la société[7]. Cette estimation ne tient pas compte des services écosystémiques non monétarisés rendus par les océans profonds comme la captation de CO2, le recyclage des nutriments et l’absorption des déchets ou la perte de biodiversité et de son potentiel génétique.
Télécharger le communiqué de presse.
[1]Analyse de l’activité de chalutage de fond au-delà de l’isobathe 200 mètres de 2010 à 2012. Patrick Berthou, Eric Bégot, Alain Biseau. Avril 2014.
Analyse des captures du métier « chalutiers à espèces profondes en Ouest Ecosse ». Anne-Sophie Cornou, Alain Biseau. Mars 2014.
[2] Voir réponse de la Direction des pêches maritimes et de l’aquaculture (DPMA) à la question parlementaire du député Jean-Noël Carpentier, réponse publiée au JO le 18 février 2014, page 1650.
[3] Analyse de l’activité de chalutage de fond au-delà de l’isobathe 200 mètres de 2010 à 2012. Patrick Berthou, Eric Bégot, Alain Biseau. Avril 2014. Page 6, tableau 4.
[4]Roselend, Corail et Saint-Gothard.
[5] « Une éventuelle interdiction de certains engins de pêche, sans discernement, aurait de très lourdes conséquences socio-économiques et ne serait pas acceptable », communiqué de presse du ministère de l’Ecologie relatant les propos tenus par M. Cuvillier à Mme Damanaki, 17 juillet 2012.
[6]Centrophorus squamosus est une espèce vulnérable au niveau global et en danger critique d’extinction dans l’Atlantique Nord-Est. En 2012, le squale chagrin de l’Atlantique représente 1,65% des captures totales des navires échantillonnées et 8,51% des rejets, ce qui en fait la 10ème espèce la plus capturée en volume et la 3ème espèce la plus rejetée après l’alépocéphale de Baird et la grande argentine.
[7] “Deep Trouble”, NEF, novembre 2013 http://s.bsd.net/nefoundation/default/page/-/publications/Deep_Trouble_ENGLISH.PDF