13 octobre 2016
Article sur la pêche illégale de Daniel Pauly, publié dans l’édition spéciale du magazine Diplomatie distribuée lors du Sommet de Lomé sur la sécurité maritime.
Si l’ampleur et l’impact environnemental de la pêche illégale sont largement reconnus, le manque à gagner que cette activité représente pour les États africains et les moyens de le résorber sont eux plus difficiles à identifier.
En raison de la surexploitation des mers européennes, les ressources marines vivantes de l’Afrique de l’Ouest, du Maroc, au nord, jusqu’à la Namibie, au sud, ont commencé à être exploitées dans l’entre-deux guerre par des navires industriels européens, notamment français. Cependant, cette pêche étrangère s’opérait sous la forme d’incursions isolées. Ainsi, elle avait dans l’ensemble un faible impact. La pêche ouest-africaine demeurait principalement domestique et était exploitée par de petits pêcheurs, c’est-à-dire une pêche artisanale de subsistance. La Seconde Guerre mondiale a permis de reformer les stocks dans les eaux européennes, mais la période d’après-guerre a rapidement conduit à la réémergence d’une capacité industrielle de pêche excessive et à nouveau à la surexploitation des ressources halieutiques de l’Atlantique nord.
Les thons, l'une des cibles de la pêche illégale (© L. Ducos)
Par conséquent, les navires français, espagnols, portugais et d’autres pays de l’Europe de l’Ouest ont commencé à opérer en Afrique de l’Ouest, utilisant comme bases des ports dans leurs colonies ou anciennes colonies. En outre, entre la fin des années 1950 et les années 1970, une succession d’études scientifiques, notamment l’« étude guinéenne sur le chalutage », internationalement reconnue, a identifié le long de la côte ouest-africaine des ressources de poissons de fond qui pouvaient être exploitées par les chalutiers industriels. Soudain, ce fut la ruée. Des chalutiers originaires de divers pays européens sont venus toujours plus nombreux pour exploiter les ressources marines de l’Afrique de l’Ouest, à tel point que, au bout de quelques années, les navires de pêche industrielle européens remontaient plus de poisson que les petits pêcheurs locaux.
Certaines flottes de pêche étaient prétendument des entreprises conjointes, mais, en réalité, leurs partenaires africains ne l’étaient que sur le papier. Un seul pays africain, le Ghana, a réussi dans les années 1960 à établir une véritable flotte industrielle nationale. Cependant, lorsque la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer a été achevée au début des années 1980, la flotte du Ghana a dû être rapatriée, les pays dans lesquels elle opérait ayant commencé à déclarer des zones économiques exclusives (ZEE) et à réclamer le paiement de frais d’accès. Le Ghana n’avait pas les moyens de payer les sommes exigées en devise forte pour accéder aux ressources des ZEE des autres pays. En revanche, l’Union européenne, elle, le pouvait. Ainsi commença une longue période d’accès subventionné par l’UE aux ressources de pêche de l’Afrique de l’Ouest pour les Français, les Espagnols, ainsi que d’autres flottes.
Avec eux, vint également le temps des pêches illégales – nous entendons par pêche illégale toute pêche dans la ZEE d’un pays donné sans accord d’accès et sans paiement d’une taxe, habituellement égale à 5 % de la valeur des prises du navire. Divers pays européens ont commencé à pêcher illégalement à cette époque, notamment l’Espagne, dont les navires débarquaient leurs prises massives à leur base de Las Palmas, aux îles Canaries, avant de les réexporter vers le reste de l’Europe.
Cependant, dans les années 1990, d’autres acteurs commencèrent à opérer en Afrique de l’Ouest, notamment la Russie, qui poursuivit l’aventure de l’ancienne Union soviétique au large des côtes de Guinée équatoriale, de la Namibie et ailleurs, ainsi que la Chine et d’autres pays d’Asie du Sud-Est. Leur modus operandi consistait à acheter l’accès à un pays, depuis lequel ils pouvaient faire des incursions illégales au nord et au sud, tout en déclarant le poisson pêché comme provenant du pays auquel ils avaient légalement accès.
Un autre facteur vient compliquer l’analyse du comportement des flottes étrangères. En effet, nombre d’accords d’accès de ces nouveaux acteurs, en particulier la Chine, sont signés avec le président ou avec le ministre de la Pêche des pays côtiers, mais ne sont pas reconnus comme tels par les pays concernés, contrairement aux accords avec l’UE, qui sont disponibles en ligne. Ainsi, la presse de différents pays pense que la Chine opère de façon illégale sous couvert de manœuvres techniquement légales. Une plus grande transparence est manifestement nécessaire concernant ces accords d’accès, dont les termes devraient être accessibles au public.
Étant donné la situation actuelle, il est difficile d’évaluer la quantité de poisson pêché illégalement plutôt que non signalé en Afrique de l’Ouest par les flottes étrangères. Cependant, même les estimations approximatives sont éclairantes. Par exemple, en nous appuyant sur le travail que nous avons accompli en collaboration avec USAID, qui a partagé avec nous l’observation de détection à distance des navires effectuant des incursions illégales dans les eaux de pays voisins, nous avons pu fournir fin novembre 2013 au ministre de la Pêche sénégalais de l’époque une estimation qui s’élevait à 300 millions de dollars pêchés illégalement chaque année dans son pays. Un mois plus tard, il faisait arrêter un navire de pêche russe qui opérait illégalement, l’Oleg Naydenov, et infligea à ses armateurs une amende d’un million de dollars.
En conclusion, les pays d’Afrique de l’Ouest ont tout à gagner en investissant dans la gestion et la surveillance des navires qui pêchent dans leur ZEE, car ces ressources qui leur sont volées sont substantielles et représentent une valeur bien plus grande que l’obole qu’ils reçoivent en marchandant l’accès à leurs ressources. D’ailleurs, le fait qu’INTERPOL considère désormais la pêche illégale comme un crime constitue un pas dans la bonne direction. L’Accord relatif aux mesures du ressort de l’État du port visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, qui permet aux pays côtiers de retenir des navires ainsi que le fruit de leurs pêches dans les eaux d’autres pays, représente également une avancée.
Cependant, ces mesures devront être renforcées, notamment par le biais d’une alliance des ONG environnementales, qui effectuent actuellement un travail remarquable dans la chasse à la pêche illégale en mer, avec les organisations de petits pêcheurs et d’industriels de l’Afrique de l’Ouest, premières victimes de ce pillage le long de leurs côtes.
Les requins sont particulièrement prisés pour leurs ailerons et souvent pêchés illégalement (© S. Shea)
D’autres organisations devront être associées à cette alliance, telles que celles qui travaillent sur les droits de l’homme et qui s’intéressent à la fois aux problèmes de sécurité alimentaire que la pêche étrangère, légale et illégale, génère à terre et aux mauvais traitements que subissent les équipages de nombreux navires, qu’ils opèrent de manière semi-légale ou illégale. En effet, ce dernier point constitue un problème international de plus en plus urgent et qui ne cesse de prendre de l’ampleur puisque, en raison du déclin des ressources, les opérateurs de ces flottes de haute mer tentent de réduire leurs coûts opérationnels en abaissant les salaires des équipages.
Une coalition générale comme celle-ci est possible et pourrait bel et bien être en train de voir le jour. Une fois consolidée, elle devrait permettre aux gouvernements des pays ouest-africains non seulement de contenir les flottes étrangères, qu’elles opèrent de façon légale ou illégale dans leurs eaux, mais également d’accorder à leurs industries de pêche nationales l’attention et les fonds de développement dont elles ont besoin (en matière d’amélioration de la manutention, de la conservation et du marketing de leurs prises) et qui leur font pour l’instant défaut.
La position de BLOOM sur ces accords de pêche, signés entre l’UE et les pays africains.
Le petit guide qui évite de dire de grosses bêtises, notamment le chapitre sur l’impact du réchauffement climatique sur les migrations de poissons, et donc, sur la sécurité alimentaire.