26 avril 2017
Communiqué de presse — le 26 avril 2017
Alors que l’espace médiatique est saturé par l’élection présidentielle en France, une alliance s’est formée au Parlement européen entre députés socialistes, républicains et Front de Gauche pour tenter de faire passer demain, le 27 avril, une mesure désastreuse pour les océans : la réintroduction des aides publiques à la construction de bateaux de pêche dans les régions ultrapériphériques européennes.
> Actualisation au 28 avril 2017 : BLOOM a analysé le vote encourageant la surpêche
> Actualisation au 6 mai 2017 : Comment les eurodéputés ont acheté à vil prix la paix sociale dans les outremers
Les subventions à la construction de navires de pêche ont été interdites en Europe en 2002 (1) de façon à lutter contre la surcapacité de production des flottes de pêche et à endiguer la surpêche chronique qui en résulte. Depuis, le principe d’élimination des subventions néfastes s’est imposé comme l’une des façons les plus efficaces de lutter contre le fléau mondial de la surexploitation des ressources marines. L’objectif de développement durable n°14, adopté par l’ONU en septembre 2015, prévoit explicitement : « D’ici à 2020, interdire les subventions à la pêche qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche » (objectif 14.6).
Malgré cela, et sous couvert vertueux de n’aider que les régions ultrapériphériques et les flottes « artisanales » (sans préciser que cela recouvre en France la pêche industrielle !(2)), les députés n’ont rien trouvé de mieux, à quelques semaines de la conférence internationale de l’ONU sur l’océan sur la mise en œuvre de l’objectif 14, que de chercher à réintroduire les subventions publiques à la construction.
2017 est une année charnière pour les océans. Soit les nations s’accordent en juin 2017 sur la mise en œuvre ambitieuse des objectifs de développement durable, y compris l’interdiction des subventions menant à la surpêche, soit elles ratent le coche, auquel cas la destruction des ressources, du milieu marin et des emplois artisans et vivriers se poursuit.
Les lobbies de la pêche industrielle et leurs alliés politiques savent combien il serait désastreux qu’une institution européenne envoie le signal que les aides publiques à la construction peuvent être considérées, dans certains cas, comme « bénéfiques » alors qu’il est démontré qu’elles contribuent systématiquement à l’augmentation de la capacité de pêche et in fine à la surpêche.
Il aura fallu plus de 15 ans pour que l’interdiction des subventions à la construction — l’une des mesures les plus efficaces pour enrayer le problème chronique du surdimensionnement des flottes de pêche mondiales — devienne un objectif transversal des Nations unies. Or les lobbies de la pêche savent que sa mise en œuvre internationale signifierait la fin du régime « business as usual » sous lequel ils opèrent depuis des décennies.
Les pions ne sont donc pas placés par hasard en amont des négociations onusiennes.
La fondatrice de BLOOM déclarait n’être « aucunement surprise par les Républicains qui s’assument anti-écolos, n’ont que faire de la science et ne cachent plus leurs liens avec les lobbies industriels » mais le soutien de deux députés Front de Gauche, signataires de l’amendement, est en revanche source d’étonnement. « Cet amendement est en contradiction totale avec le programme mis en avant par Jean-Luc Mélenchon » précise Claire Nouvian. L’ambitieux Livret Mer de la France Insoumise s’engage notamment à « mettre en œuvre avant 2020 les objectifs de développement durable des Nations unies (ODD) (3)».
« Quant aux socialistes, il semblerait que le renouveau écolo-hamoniste n’ait pas eu de prise sur le réel » déplore cette dernière. « Ce décalage entre les annonces programmatiques et la politique de terrain exaspère les Français, mais les classes politiques semblent léviter hors sol, sourdes aux attentes des électeurs et incapables de prendre la mesure de la défiance et du ressentiment profond qui s’installe et que leurs actes justifient. »
L’amendement a été déposé dans le cadre d’un rapport d’initiative du Parlement dont la rapporteure, la députée socialiste allemande Ulrike Rodust, a donné une consigne de vote défavorable au groupe socialiste européen de façon à ce qu’il rejette unanimement cette mesure dangereuse au cours du vote du 27 avril.
Malgré cela, et comme en bis repetita du vote de la honte de décembre 2013 qui a vu les Socialistes français s’opposer aux Socialistes européens et rejeter l’interdiction du chalutage profond(5), les eurodéputés français sont de nouveau fourvoyés par la consigne de leur référent pêche, la députée Isabelle Thomas, marraine du lobby industriel Blue Fish. Un certain nombre de députés hamonistes (liste plus bas), officiellement alliés à EELV et théoriquement métamorphosés en écologistes sincères, se trouvent ainsi co-signataires d’un amendement historiquement néfaste.
« Etant donné que Benoît Hamon a affirmé l’écologie comme une valeur centrale du projet socialiste et que nous alertons la délégation française sur les terribles conséquences en domino de ce vote, nous pouvons espérer qu’ils ne feront pas deux fois la même erreur » déclarait Claire Nouvian.
Le vote de jeudi 27 avril en jugera.
Si les députés français se soucient sincèrement des territoires d’outre-mer, ce qui serait tout à fait nouveau mais ce que la crise en Guyane a permis de faire émerger, alors une série de décisions politiques courageuses s’impose.
=> Lire la tribune de BLOOM « Donnez aux pêcheurs de Guyane les moyens d’une pêche durable ! »(7) pour en savoir plus.
« Envisager l’accroissement de l’effort de pêche dans un contexte de surexploitation chronique des ressources marines et sans disposer d’un état des lieux de la santé des stocks de poissons et des écosystèmes ainsi que d’un panorama précis de l’effort de pêche déployé est insensé et irresponsable » mettait en garde Frédéric Le Manach, directeur scientifique de BLOOM.
Le vote du 27 avril dira si le Parlement européen et notamment les eurodéputés français ont finalement décidé de soutenir ou de miner en amont les négociations internationales sur les océans et la mise en œuvre des Objectifs de développement durable qui seuls sont en mesure de mettre la planète sur la voie de la durabilité.
BLOOM produira une analyse précise du vote.
=> Pourquoi l’amendement réintroduisant les aides publiques à la construction de bateaux de pêche dans les régions ultrapériphériques européennes est à la fois dangereux et inutile :
L’amendement est dangereux parce que :
L’amendement est inutile car le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) prévoit déjà des mesures de financement extraordinaires pour les régions ultrapériphériques, dont le besoin accru de soutien financier pour combler un retard structurel est explicitement mentionné dans le règlement, sans pour autant rouvrir la boîte de Pandore que sont les subventions à la construction.
Les députés signataires de l’Amendement sont :
Pour Les Républicains
1. Michèle Alliot-Marie
2. Françoise Grossetête
3. Marc Joulaud
4. Jérôme Lavrilleux
5. Renaud Muselier
6. Maurice Ponga
7. Alain Cadec
8. Michel Dantin
9. Angélique Delahaye
10. Philippe Juvin
11. Franck Proust
Pour les Socialistes
1. Isabelle Thomas
2. Louis-Joseph Manscour
3. Vincent Peillon
4. Christine Revault D’Allonnes Bonnefoy
5. Eric Andrieu
6. Jean-Paul Denanot Virginie Rozière
7. Gilles Pargneaux
8. Edouard Martin
9. Guillaume Balas
10. Sylvie Guillaume
Pour la France Insoumise
1. L’union pour les Outremer : Younous Omarjee
2. Front de Gauche : Patrick Le Hyaric
[2] La « pêche artisanale » inclut en France tous les bateaux de moins de 25 mètres (http://bit.ly/2pyt8nb) dont l’armateur est embarqué (http://bit.ly/2p3cJWr), alors que cette définition est restreinte au niveau internationale aux patrons embarqués sur les bateaux de moins de 12 mètres utilisant des engins « dormants » (impact moindre sur l’environnement). Les chalutiers de 24,99 m sont donc considérés en France, comme de la pêche artisanale !
[3] https://avenirencommun.fr/livret-mer-peche/ page 19