04 septembre 2017
Complètement à côté des demandes de la campagne On The Hook, le MSC continue d’utiliser l’argument de la chaîne de traçabilité pour justifier ses dérives. Aidons-les donc à comprendre grâce à l’exemple des oiseaux marins pourquoi nous n’avons pas besoin d’une autre consultation publique mais d’un changement de direction clair et rapide.
Les interactions entre les pêches et les oiseaux marins constituent un énorme problème au niveau mondial, avec des centaines de milliers d’oiseaux tués ou blessés chaque année. Ainsi, le nombre d’oiseaux capturés chaque année par les palangriers pourrait dépasser 320 000 individus.[1] Il dépasse par ailleurs vraisemblablement les 400 000 en ce qui concerne les pêcheries utilisant des filets maillants.[2]
Les oiseaux marins sont également parmi les groupes d’oiseaux les plus menacés, avec près d’un tiers de leurs espèces listé sur la Liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Maintenant, supposons que le MSC soit un outil de marché sans faille et que — comme il se plait à le proclamer — il ne récompense que les pêcheries et les pêcheurs qui s’astreignent à minimiser leur impact sur le milieu marin.[4] Dans une telle configuration, il serait impensable que le MSC annihile toutes les avancées réalisées en termes de conservation des oiseaux marins. En somme, le MSC pourrait-il vraiment envisager de ne certifier qu’un pan d’une pêcherie tout en lui permettant de continuer ses pratiques néfastes pour les oiseaux de mer ? Sûrement pas !
Le MSC faisant la sourde oreille en ce qui concerne le renouvellement imminent du certificat de la plus grande pêcherie thonière au monde, c’est pourtant exactement ce qu’il sous-entend.
Pour rappel, les thoniers senneurs ciblant les thons tropicaux (bonite rayée, albacore, thon germon, thon obèse) peuvent pêcher de manière opportuniste soit autour de dispositifs à concentration de poissons (DCP, placés par les équipages),[5] soit autour de bancs dits « libres », non associées à un DCP. Ces thons libres sont considérés par les acteurs de la « pêche durable » comme un meilleur choix que les thons capturés autour de DCP. Pourtant, cette distinction est absurde.
Comme l’expliquait récemment Victor Restrepo, vice-président de l’International Seafood Sustainability Foundation (ISSF) et membre du Conseil technique consultatif du MSC, cette distinction de marché est hasardeuse car la plupart des senneurs (qui fournissent plus de 60% des captures mondiales de thon) pêchent de manière opportuniste à la fois sur DCP et autour de bancs libres lors d’une même sortie ![6] Ainsi pour lui, la récente tendance (par les parties intéressées) à considérer les thons pêchés sur DCP ou sur bancs libres comme provenant de deux pêcheries différentes est donc une situation inventée de toute pièce.[7]
La grande majorité des gestionnaires et scientifiques impliqués dans les pêcheries thonières seront d’accord avec ce monsieur : une approche holistique doit être adoptée si l’objectif principal est la durabilité des pêcheries mondiales de thon. L’intégralité des impacts des thoniers senneurs doit être considérée.
En quoi cette histoire de DCP est-elle pertinente par rapport aux oiseaux marins ? En autorisant une approche compartimentée des pêcheries de thons, le MSC a ouvert une véritable boîte de Pandore et de nombreux acteurs l’exhortent à reconsidérer d’urgence cette approche avant que le label n’écorne encore plus sa crédibilité.
Prenons l’exemple des pêcheries utilisant la palangre de fond. L’ajout de poids sur la ligne lui permet de couler plus vite, ce qui réduit les chances d’hameçonner des oiseaux marins en surface. Cependant, le MSC suggère que tant qu’un système de traçabilité sur le bateau et sur terre vous permet de séparer vos « bonnes » de vos « mauvaises » captures, tout est OK.[8]
Cette logique est évidemment absurde ! Le cas échéant, un palangrier n’utilisant aucun poids et attrapant et tuant des oiseaux marins pourrait garder ses captures séparées (ce serait alors la partie non certifiée) et, plus tard la même journée, il pourrait améliorer ses pratiques en ajoutant des poids sur ses lignes (ce qui minimiserait la mortalité des oiseaux) et cette partie des captures serait alors certifiée « durable » et pourrait être vendue avec le logo MSC. Le consommateur serait laissé dans le flou quant à la nature compartimentée de cette pêcherie : berné, il ne serait pas au courant du secret un peu sale de la partie non certifiée qui aura pourtant causé la mort de nombreux oiseaux.
Il est évident qu’une telle approche est incompatible avec la conservation du milieu marin et sa confirmation signifierait que le MSC pourrait en réalité soutenir implicitement la surpêche et les mauvaises pratiques.
Le coup sera dur le jour où la première pêcherie compartimentée ayant de sérieuses conséquences sur les oiseaux marins sera certifiée, mais le danger est réel. La solution est évidente : Le MSC doit abandonner l’idée de certifier des pêches artificiellement compartimentées et se concentrer sur l’amélioration de toutes les composantes d’un même navire de pêche.
[1] Anderson, O. R. J., Small, C. J., Croxall, J. P., Dunn, E. K., Sullivan, B. J., Yates, O., & Black, A. 2011. Global seabird bycatch in longline fisheries. Endangered Species Research 14 (2), 91–106. doi:10.3354/esr00347
[2] Žydelis, R., Small, C., & French, G. (2013). The incidental catch of seabirds in gillnet fisheries: A global review. Biological Conservation 162, 76–88. doi:10.1016/j.biocon.2013.04.002
[3] Wiedenfeld, D. A. 2016. Seabird bycatch solutions for fishery sustainability. American Bird Conservancy.
[4] Nous savons que ce n’est malheureusement pas vrai, car le MSC a toujours certifié des pêcheries extrêmement controversées (pêche minotière, drague hydraulique, chalutage profond etc.). Par conséquent, il perd rapidement son aura scientifique, mais ce n’est pas la discussion ici.
[5] Il est reconnu que les thoniers senneurs ont des impacts environnementaux majeurs ayant entraîné la surpêche de certains stocks de thon (prises élevées de thon juvénile, captures « accessoires » d’espèces vulnérables comme les requins etc.). La plupart de ces problèmes sont liés à leurs activités de pêche sur les DCP.
[6] Vous pouvez lire son édito ici : http://www.intrafish.com/commentary/1319368/opinion-defining-well-managed-or-sustainable-fad-use
[7] À l’exception de certaines interdictions saisonnières fixées par les organisations régionales de gestion des pêches ou de changements saisonniers naturels de distribution des bancs libres, les deux activités ne constituent pas deux pêcheries différentes.
[8] Certains capitaines de pêche assurent qu’en ajoutant plus de poids aux palangres démersales, il y a une baisse des captures de poissons. Par conséquent, ils peuvent avoir un intérêt à garder certaines lignes sans poids.