27 septembre 2019
Le 24 septembre 2019, le GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) a publié un rapport spécial sur « L’Océan et la cryosphère » (la cryosphère renvoie à toutes les parties terrestres ou marines où l’eau est gelée sous forme de neige, glacier, inlandsis, banquise, iceberg, glace de mer, de lac ou de rivière, et pergélisol). Ce rapport complète une série de trois rapports spéciaux du GIEC, dont les précédents sont « Réchauffement global de 1.5°C » publié le 8 octobre 2018 et « Changement climatique et surfaces terrestres » publié le 8 août 2019.
Ce travail titanesque de synthèse de toute la connaissance scientifique sur le sujet est le résultat de deux années de travail de la part de 104 auteurs de 36 pays différents et a fait l’objet de 31 176 commentaires de la part d’experts et de gouvernements de 80 pays. Long de 1 170 pages, le rapport cite les résultats de 6 981 études scientifiques. Il dresse un état des lieux de l’effet du changement climatique sur les océans et les glaces mais aussi sur l’évolution future de ces compartiments de notre planète. Le rapport est accablant et montre clairement comment l’augmentation de la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre provenant de l’activité humaine a des répercussions des plus hauts sommets jusqu’aux plus profond de l’Océan.
La liste est longue : augmentation de la température de l’Océan, multiplication des vagues de chaleur marines, acidification de l’eau de mer liée à la dissolution du CO2 atmosphérique, fontes des calottes glaciaires du Groenland, de l’Antarctique et des autres glaciers terrestres, montée des eaux résultant de cette fonte et de la dilatation des masses d’eau consécutive à leur réchauffement, disparition de la banquise dans l’Océan Arctique, fontes des pergélisols et diminution de l’oxygène dissous dans l’eau.
Les conséquences de ces changements passés, en cours et à venir sont profonds pour la biosphère et pour l’Homme. La régression des glaciers menace la subsistance de 250 millions de personnes qui habitent dans la région montagneuse de l’Hindou Koush-Himalaya et de 1,6 milliard de personnes au Pakistan, en Inde, en Chine et en Asie du Sud-Est qui dépendent des fleuves qui coulent de ces sommets. Même dans le meilleur scénario climatique possible (+ 1.5°C d’ici 2100), plus d’un tiers des glaciers de cette chaîne de montagnes aura disparu d’ici 2100. En parallèle, la diminution de la surface de banquise en Océan Arctique (et de la calotte glaciaire du Groenland) réduit le pouvoir réfléchissant des rayons du Soleil (albedo) de cette glace, ce qui contribuera à augmenter d’autant le réchauffement du climat (« amplification arctique »).
Le niveau de l’Océan augmente actuellement de presque 4 mm par an. D’ici 2050, la montée des eaux pourrait atteindre + 50 cm par rapport à la période préindustrielle. Cette augmentation peut sembler faible, mais les inondations associées à cette montée et aux tempêtes (dont l’intensité va en augmentant) expose à des risques près de 1 milliard de personnes des régions insulaires ou côtières à travers le monde, dont 800 millions de personnes vivant dans 570 villes (voir figure ci-dessous). D’un point de vue purement matériel, les dégâts infligés aux villes atteindraient 1000 milliards de dollars d’ici la moitié du 21ème siècle.
Inondations : villes concernées par une augmentation du niveau de l’Océan de + 50 cm d’ici 2050 selon le scénario RCP 8.5 (pas de diminution des émissions d’origine humaine) du GIEC (© C40 Cities).
Le rapport s’intéresse également à l’évolution du pergélisol, croûte de sol glacée des hautes latitudes parfois surnommée « bombe climatique » en raison du CO2, du méthane et de l’oxyde d’azote – trois gaz à effet de serre – qui pourraient s’en échapper en grandes quantités s’il venait à fondre. Les projections prévoient une diminution jusqu’à 75-100% des surfaces de pergélisol superficiel dans le monde d’ici 2100.
L’augmentation du CO2 atmosphérique d’origine humaine signifie aussi une augmentation du CO2 dissout dans l’Océan et donc une acidification, par ajout d’acide carbonique, de l’eau de mer. Cette diminution du pH de l’eau a des conséquences négatives pour des organismes qui utilisent le carbonate de calcium (le « calcaire ») pour construire leur squelette ou coquille, autrement dit un très grand nombre d’espèces. Moules et huîtres, par exemple, verront leur croissance et résistance impactées, ce qui pourra affecter l’aquaculture et les millions de personnes qui en dépendent. Certains organismes utilisent le calcaire pour construire des structures complexes – coraux, éponges, algues encroûtantes, vers marins, bryozoaires – qui forment des habitats récifaux importants pour d’autres espèces. Leur disparition affecterait ainsi des communautés entières d’organismes, avec une réduction possible de 30% de la biodiversité animale par endroits d’ici 2100 (voir figure ci-dessous). Les récifs construits par ces « ingénieurs de l’écosystème » sont donc vitaux pour la pêche, mais aussi pour la stabilité des récifs côtiers qui protègent, à l’instar des mangroves, des millions de personnes des excès de la montée des eaux et des tempêtes.
Acidification : changement de l’état des écosystèmes benthiques entre aujourd’hui et 2100 sous l’effet de l’acidification de l’Océan en zone tropicale et tempérée, selon deux scénarios : RCP 4.5 (réduction des émissions de gaz à effet de serre) et RCP 8.5 (pas de réduction des émissions) (in Hall-Spencer and Harvey 2019 [1]).
On estime à près de 500 millions le nombre de personnes dans le monde qui dépendent des récifs coralliens pour se nourrir, pour la protection côtière et pour d’autres services. Le réchauffement des eaux marines représente une menace directe pour ces écosystèmes qui hébergent plus du quart de la biodiversité marine connue. Les coraux durs sont une symbiose entre une algue (le symbiodinium) et un animal : le corail. L’algue apporte des sucres et de l’oxygène issus de la photosynthèse au corail, qui lui apporte en retour des nutriments azotés issus de sa consommation de plancton. Au cours de vagues de chaleur marines (lorsque la température de l’eau dépasse 29-30°C), les algues sont expulsées et le corail meurt si la température ne retombe pas rapidement : c’est le blanchiment. Les vagues de chaleur marines, de plus en plus fréquentes et intenses, sont littéralement en train de détruire les récifs coralliens de la planète, comme en témoigne leur impact sur ce qui fut le plus grand récif au monde : la Grande Barrière en Australie (voir figure ci-dessous). Outre la perte irremplaçable des espèces associées aux récifs coralliens, la disparition des services fournis par ces écosystèmes devrait coûter à l’humanité 500 milliards de dollars par an d’ici 2100 si rien n’est fait pour réduire nos émissions.
Mort des coraux : perte en surface corallienne de la Grande Barrière en Australie entre mars (avant une vague de chaleur marine) et novembre 2016 (après la vague de chaleur) (in Hughes et al. 2018 [2]).
Le réchauffement de l’Océan diminue la teneur en oxygène dissous disponible dans l’eau pour la respiration des organismes marins. En conséquence, de nombreuses espèces feront face à une compression de leur habitat, dont certaines espèces commerciales qui deviendront donc moins disponibles. Le nombre de « zones mortes » – zones sans ou très pauvres en oxygène – devrait également augmenter. L’autre effet du réchauffement des masses d’eau c’est leur stratification, qui empêche les nutriments d’être disponibles en surface, là où a lieu la photosynthèse à la base de la chaîne alimentaire, aussi appelée production primaire. Plus de stratification signifie moins de production primaire, donc moins de nourriture pour les espèces commerciales, soit une réduction significative anticipée des captures à travers le monde (voir figure ci-dessous). À titre d’exemple, les captures dans les eaux européennes pourraient diminuer de 30-40% d’ici 2100.
Evolution des captures : changement (%) en potentiel maximal de capture des pêcheries dans le monde entre aujourd’hui et 2100 avec un scénario RCP 8.5 (pas de réduction des émissions des gaz à effet de serre) (in IPCC 2019 [3]).
Pour conclure, le GIEC nous livre un rapport glaçant sur les conséquences graves du réchauffement climatique, dont nous sommes responsables, sur la biodiversité marine. Ce rapport souligne aussi, s’il fallait encore le démontrer, notre dépendance à l’Océan et à la cryosphère. Il montre comment nous serons tous concernés par la dégradation, voire l’effondrement de nombreux services écosystémiques, quelque soit l’endroit où nous habitons sur la planète. Le rapport souligne aussi que tout n’est pas perdu et qu’il est toujours possible de limiter le réchauffement climatique à + 1.5°C si nous commençons à réduire nos émissions dès maintenant. À bon entendeur !
[1] Hall-Spencer JM, Harvey B (2019) Ocean acidification impacts on coastal ecosystem services due to habitat degradation. Emerging Topics in Life Sciences 3: 197–206.
[2] Hughes TP, Kerry JT, Baird AH, Connolly SR, Dietzel A, Eakin CM, Heron SF, Hoey AS, Hoogenboom MO, Liu G, McWilliam MJ, Pears RJ, Pratchett MS, Skirving WJ, Stella JS, Torda G (2018) Global warming transforms coral reef assemblages. Nature 556: 492–496.
[3] IPCC (2019) Summary for policymakers. In: IPCC Special report on the ocean and cryosphere in a changing climate. Pörtner H-O, Roberts DC, Masson-Delmotte V, Zhai P, Tignor M, Poloczanska E, Mintenbeck K, Nicolai M, Okem A, Petzold J, Rama B, Weyer N (eds). In press.