30 juin 2016
Bruxelles, le 30 juin 2016
Après quatre années de procédures législatives et près de quatre années supplémentaires de lobbying intense de la part des industriels de la pêche pour tenter d’empêcher, en amont, l’Etat français[1] puis la Commission européenne de proposer l’interdiction du chalutage profond, un accord vient enfin d’être trouvé, ce jeudi 30 juin, entre les trois institutions européennes (Parlement, Conseil, Commission) scellant la réforme du règlement encadrant la pêche profonde européenne.
Les trois institutions ont adopté une série de mesures importantes pour la protection des écosystèmes profonds européens, notamment l’interdiction du chalutage profond dans toutes les eaux européennes au-dessous de 800 mètres de profondeur et un mécanisme juridiquement contraignant de fermeture de zones abritant ou susceptibles d’abriter des écosystèmes marins vulnérables tels que des coraux.
Le futur règlement « pêche profonde » remplacera celui de 2002, faible et inadapté, qui sert aujourd’hui encore de cadre légal à la pêche profonde. L’Union européenne se dote ainsi d’un cadre règlementaire à la hauteur des résolutions votées par l’Assemblée générale des Nations Unies sur la pêche profonde (voir l’infographie de BLOOM).
« L’équipe de BLOOM travaille d’arrache-pied depuis huit ans dans le but de faire interdire le chalutage profond. L’interdiction de cette méthode de pêche absurde, destructrice et subventionnée aurait dû avoir lieu il y a longtemps mais c’était sans compter avec la désinformation, les mensonges, la mauvaise foi et les manœuvres tordues des lobbies industriels et de leurs alliés politiques » déclare Claire Nouvian, fondatrice de BLOOM. « Sans le soutien de centaines de milliers de citoyens qui ont mis la pression à Intermarché pour que le groupe cesse le chalutage profond, l’UE n’aurait jamais adopté cette interdiction. Nous espérons que les citoyens ont conscience que cette victoire est la leur et que sans leur mobilisation et leur soutien financier, les ONG ne peuvent pas faire de miracles. L’interdiction du chalutage profond au-delà de 800 mètres est la mesure la plus importante de ce règlement. C’est un succès franc aux conséquences nettes : cela signifie que la déforestation sous-marine qui a lieu aujourd’hui sans aucune contrainte légale jusqu’à 2000 mètres de profondeur cessera à jamais ».
Le seuil de 800 mètres retenu pour l’interdiction du chalutage profond l’a été à la suite de la campagne tonitruante que BLOOM a orchestrée contre cette méthode de pêche et que l’illustratrice Pénélope Bagieu a relayée dans une BD en ligne partagée plusieurs centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux, conduisant la pétition de BLOOM à entrer dans les records de mobilisation environnementale en France. La campagne de BLOOM a incité les enseignes de la grande distribution à abandonner les ventes d’espèces profondes et la flotte d’Intermarché à accepter, en janvier 2014, de ne plus pêcher au chalut au-delà de 800 mètres de profondeur. C’est la profondeur que le Conseil a retenue pour l’interdiction du chalutage profond le 6 novembre 2015. L’accord trouvé le mardi 14 juin signe ainsi l’aboutissement d’une négociation de « trilogue » entamée il y a huit mois et conclue sous présidence néerlandaise.
=> Lire ici la chronologie illustrée des étapes principales de la réforme du règlement pêche profonde
« Cette réforme aurait pu être beaucoup plus ambitieuse avec un autre rapporteur » explique Claire Nouvian, « or l’eurodéputée socialiste Isabelle Thomas, en charge du texte, a bradé le règlement pêche profonde en acceptant presque sans ciller les reculs proposés par le Conseil (les Etats membres), Espagne en tête »[2].
C’est ainsi que le texte se limite désormais aux seules eaux européennes et aux eaux internationales de l’Atlantique Centre-Est[3] (voir notre carte) alors que la proposition initiale de la Commission européenne, renforcée par le Parlement, englobait l’ensemble des eaux internationales de l’Atlantique Nord-Est. La perte de la majeure partie des eaux internationales est à imputer à l’Espagne, qui a pris en otage le Conseil et exercé une pression terrible sur la Commission et le Parlement pour que ses navires, pêchant principalement en eaux internationales, ne soient pas impactés par le règlement. « La rapporteure aurait dû se battre pour défendre la position du Parlement et atteindre un compromis honorable mais au lieu de cela, Isabelle Thomas, élue de gauche, a fait le jeu de la droite espagnole, cherchez l’erreur ! » analyse Claire Nouvian. « Sa loyauté ne semble s’exercer qu’envers les lobbies de la pêche industrielle. De fait, Isabelle Thomas est marraine du lobby le plus actif, Blue Fish[4], et ce conflit d’intérêts inacceptable a eu un impact très regrettable sur la portée du règlement, à commencer par le résultat désastreux du vote du Parlement en décembre 2013 dont elle porte la responsabilité ».
La façon de faire de Mme Thomas a fini par susciter l’exaspération des rapporteurs fictifs (chaque groupe politique assigne un eurodéputé au suivi du « Trilogue ») qui ont fait annuler la négociation tripartite de décembre 2015 et compris qu’ils devaient surveiller de près les agissements de la rapporteure. « Yannick Jadot (EELV) en particulier a réussi à redonner de l’ambition à la négociation » indique la fondatrice de BLOOM, « ainsi que Marielle de Sarnez (MoDem) et Younous Omarjee (Parti communiste). Ils ont porté au sein des institutions la volonté des citoyens et défendu l’intérêt général contre les demandes indécentes des groupes de pression privés. Sans eux, ce règlement aurait été saboté par les lobbies ».
« Sans ces vigies politiques[5], sans l’extraordinaire mobilisation des citoyens, sans la volonté d’Intermarché d’en finir avec une méthode de pêche destructrice, l’Europe n’aurait pas franchi une étape aussi majeure pour la protection des océans profonds et des nombreuses espèces menacées qui s’y trouvent » conclut Sabine Rosset, directrice de BLOOM.
BLOOM tient à remercier ses collaborateurs de la Deep Sea Conservation Coalition et The Pew Charitable Trusts sans lesquels cette campagne internationale n’aurait pas été possible.
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Voir notre tableau comparant le règlement actuel d’encadrement des pêches profondes au règlement futur et les décisions récentes de l’Europe au cadre prescrit par les Nations Unies.
Lire l’actu de BLOOM sur le régime de la terreur imposé par les lobbies lors des débats sur l’interdiction du chalutage profond dans le cadre de la Loi Biodiversité en France
L’actu sur la façon dont Isabelle Thomas s’y est prise pour récupérer la responsabilité du rapport pêche profonde au Parlement européen :
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BLOOM est membre de la coalition « Deep Sea Conservation Coalition » qui regroupe plus de 70 ONG œuvrant pour la protection des océans profonds :
Plus de 300 chercheurs internationaux soutiennent la proposition d’interdiction du chalutage profond.
Le chalutage de fond est déjà interdit dans plusieurs zones de la planète.
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[1] Pendant le Grenelle de la Mer (2009-2010)
[2] Début juin 2016 déjà, sur les 115 amendements du Parlement portant sur le cœur du texte de loi, 72 avaient été soit retirés soit supprimés, un indicateur qui ne trompe pas sur l’absence de défense de la position du Parlement face au Conseil.
[3] Zone CECAF.
[4] http://www.agraalimentation.fr/blue-fish-ne-veut-pas-laisser-seules-les-ong-internationales-occuper-le-terrain-du-lobbying-art356425-9.html
[5] En France, BLOOM remercie particulièrement Geneviève Gaillard, députée PS, Bertrand Pancher, député UDI, l’ensemble des députés et sénateurs EELV et Jérôme Bignon, sénateur LR pour leur courage politique face à l’omerta imposée par les lobbies industriels de la pêche.