02 octobre 2016
Au vu des ambitieuses déclarations du Président de la République et du ministre des finances Michel Sapin, tous les espoirs étaient permis que le projet de loi « Sapin 2 » relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique marque une rupture radicale dans la vie de la République et promulgue enfin des règles limitant le pouvoir d’influence démesuré des lobbies sur la décision publique.
Malheureusement, tel qu’il a été voté la semaine dernière en seconde lecture par l’Assemblée nationale, l’article 13, fixant les règles de transparence qui s’appliqueront aux représentants d’intérêts dans leurs rapports avec les pouvoirs publics, est « un gruyère » selon Claire Nouvian, Présidente de BLOOM. L’association avait elle-même proposé aux députés une série d’amendements sur le texte.
Un répertoire unique et obligatoire des représentants d’intérêts sera bien créé mais les informations que ceux-ci devront renseigner ne permettront pas aux citoyens de savoir « qui est intervenu, à quel niveau, auprès des décideurs publics, pour améliorer, corriger, modifier une réforme, et quels ont été les arguments utilisés »[1], comme l’avait promis François Hollande en janvier 2015.
« Le texte a été tricoté sur mesure jusqu’au dernier moment pour laisser passer des énormités » analyse Claire Nouvian. « Par exemple, les associations de protection de la nature, de défense des droits de l’homme etc. seront considérées comme des lobbies à part entière mais pas le MEDEF, qui sera soustrait à toute déclaration au titre de leur mission de dialogue social ! » Pis, le gouvernement a attendu la seconde lecture pour déposer un amendement pernicieux retirant toute substance au texte : ainsi, les lobbies devant se déclarer seront ceux ayant pour activité « principale ou régulière » d’influer sur la loi, et non plus ceux ayant pour activité « principale ou accessoire » d’influer sur la loi. « La subjectivité de la notion de régularité est une invitation pousse-au-crime à contourner la loi et faire preuve de mauvaise foi » regrette la fondatrice de BLOOM.
Pour ceux qui se sentiraient malgré tout concernés par la définition des représentants d’intérêts, il leur faudra déclarer une série d’informations élémentaires (identité, champ d’activités, nombre de lobbyistes employés, chiffre d’affaires de l’année précédente) déjà en vigueur dans la plupart des registres de transparence existants tel que le registre européen. Si la définition des représentants d’intérêts ne retirait pas au texte son impact, on aurait pu mettre au crédit de la loi d’avoir au moins adopté le principe d’un bilan annuel rétroactif des activités d’influence menées auprès des décideurs publics. « Las, la déception est d’autant plus grande que le gouvernement et le rapporteur du texte, le député socialiste Sébastien Denaja, avaient suscité des attentes fortes en tenant des propos lyriques sur l’ambition sans faille de co-construire avec l’Assemblée un texte exemplaire en matière de transparence et de probité » commente Claire Nouvian.
Or la réalité a été toute autre : parfaitement aligné sur la ligne du gouvernement, Sébastien Denaja s’est obstinément opposé à toutes les mesures de ses collègues visant à mettre en œuvre une transparence réelle en forçant les lobbies à publier les positions, informations, et propositions normatives qu’ils soumettaient aux décideurs publics.
La députée Geneviève Gaillard (PS) a pourtant alerté que sans un dispositif mettant en œuvre une transparence réelle des influences sur la loi, les actions législatives de l’Assemblée seraient « dénuées de sens ». Une autre députée PS, l’ancienne ministre Delphine Batho, avait fait au cours du 1er débat dans l’Hémicycle une lecture savoureuse de ce qu’un compte-rendu officiel des « actions d’influence » pourrait générer comme vacuité grotesque si une réelle traçabilité des rencontres n’était pas établie, assortie d’une transmission des positions défendues. Ces mesures ont malgré tout été rejetées par le rapporteur au titre que « trop d’informations tuent l’information ». Il en résulte une « loi molle » pour reprendre l’expression du député UDI Charles de Courson ou un texte s’apparentant à « un couteau sans lame dont on aurait retiré le manche » selon le député Gaby Charroux (Gauche démocrate et républicaine).
Pour Claire Nouvian, cet épisode est la preuve qu’il est impossible de demander à une assemblée d’édicter les règles qui la concernent au premier chef. « Les pouvoirs publics, et notamment les députés qui sont l’une des principales cibles des représentants d’intérêts, ont été juge et partie, le résultat est donc sans surprise : ils ne s’imposent aucune contrainte et s’assurent par les nombreuses failles du texte de ne pas avoir à déclarer leurs accointances avec les lobbies. Si les citoyens attendaient un corpus législatif apte à renouveler leur confiance envers leurs élus, il faudra attendre encore un peu… ou beaucoup ! » conclut Claire Nouvian.
[1] Discours du 20 janvier 2015 aux corps constitués.
Lire l’analyse de BLOOM avant le vote en seconde lecture à l’Assemblée nationale.
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