02 janvier 2011
Pêche Profonde : Quel est le problème ?
Une étude de 250 pêcheries dans le monde (pour lire l’étude cliquez ici) (en prenant 2000 comme l’année de référence) montre que 50 milliards de litres de gasoil ont été nécessaires pour capturer 80 millions de tonnes de poissons et invertébrés marins.
La moyenne mondiale se situe donc à 0,6 litre de gasoil par kilo de poisson capturé. Les poissons capturés au chalut de fond nécessitent quant à eux jusqu’à 3 litres de gasoil par kilo pêché.
Avant la modernisation des flottes de pêche profonde, le ratio était peut-être plus important encore pour les captures faites dans les grands fonds.
Les pêches globales représentent 1.2% de la consommation mondiale de pétrole et émettent directement 130 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère.
La consommation n’est pas égale entre les différentes techniques de pêche, le chalut de fond, tracté par la puissance motrice du navire, est naturellement l’engin le plus consommateur de gasoil.
Engin de pêche
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Litres de gasoil par kilo de poisson pêché (l/kg)
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Part du carburant dans le chiffre d’affaire
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Chalut
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0,42-3 l/kg
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35% (et plus)
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Seine Danoise
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0,14-0,44 l/kg
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Palangre
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0,49-1,7 l/kg
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Seine
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0,1-0,14 l/kg
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11% (et plus)
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Casier
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0,33-0,78 l/kg
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Filet
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0,81-1,8 l/kg
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Drague
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0,35 l/kg
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Ligne
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1,7 l/kg
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Litres de gasoil consommés par kilo de poisson pêché (source : Tyedmers 2004).
La très forte consommation de carburant, et donc les augmentations de son prix, sont le talon d’Achille des arts traînants, notamment des navires hauturiers exerçant à distance et en profondeur.
L’Ifremer et l’UMR Amure estiment pour 2006 que la flotte de pêche nationale consomme 300 millions de tonnes de gasoil par an (dont trois quarts pour les arts traînants). Ce chiffre exclut les 52 navires de plus de 40 mètres qui n’ont jamais rempli les fiches de renseignement de l’IFREMER sur la consommation de gasoil. Ceux-ci ne représentent que 1% de la flotte totale mais 15% de la puissance totale embarquée. Des calculs comparatifs entre les activités de pêche, il ressort les caractéristiques suivantes :
Tableau récapitulatif de la consommation de carburant des unités de pêche basé sur l’étude de l’IFREMER/UMR Amure de juillet 2008. Complément pour les chalutiers de plus de 40 mètres réalisé à partir des déclarations des industriels de la pêche, des articles de presse et des comptes d’exploitation.
La part du carburant dans le chiffre d’affaires des flottes industrielles hauturières est en augmentation constante pour celles impliquées dans le chalutage de fond, a fortiori profond. L’augmentation des prix du gasoil en est évidemment la cause :
La moyenne annuelle des prix du gasoil (chiffres hors taxes) en 2005 était de 0,44 €/litre. En 2010, elle est de 0,53 €/litre. En 2011, elle est de 0,67 €/litre, soit une augmentation de plus de 52% depuis 2005. Cela signifie que le carburant peut représenter jusqu’à la moitié du chiffre d’affaires des arts traînants démersaux lorsque les prix de celui-ci dépassent la barre des 60 centimes au litre (hors taxes). En effet, l’analyse que nous avons faite de la structure de coût des armements français a montré qu’en 2008, l’achat de matières premières représentait 35% du chiffre d’affaires de la Scapêche, 38% de celui d’Euronor et 47% de celui de Dhellemmes.
Entre le moment où la Scapêche décide de construire de nouvelles unités spécialisées (en 2002, alors que la moyenne annuelle du gasoil était à 0,26 €/litre) et 2011, le prix du gasoil a augmenté d’environ 150%.
Comme le rappelle l’entreprise, « Les calculs de la Scapêche s’appuyaient sur un prix du litre de gasoil allant de 25 à 45 centimes d’euro. »
Evolution du prix du gazole hors taxes (Euros courants par litre) de janvier 1989 à avril 2011 Source : Direction de l’Énergie et du Climat (DGEC), Ministère de l’Écologie, de l’Energie, du Développement durable et de la Mer
Le contexte d’asphyxie financière due à l’intensité capitalistique de l’activité et à une consommation substantielle de gasoil explique que les entreprises concernées par la pêche en eaux profondes aient le plus grand mal à maintenir une marge de bénéfice même modeste. De fait, les grandes flottes industrielles françaises sont chroniquement déficitaires et deux d’entre elles (Dhellemmes et Euronor) appartiennent désormais à de grands groupes étrangers tandis que la Scapêche est la propriété du groupe Les Mousquetaires/Intermarché, un leader de la grande distribution capable de renflouer son activité de pêche déficitaire dans une logique intégrée d’accès à la ressource. Nul doute que la distribution du poisson doit être une activité, quant à elle, largement bénéficiaire.
Le chalutage impose une telle charge au compte d’exploitation par la consommation de gasoil requise que les armements de grands fonds ont tous entamé, à divers degrés, une politique de diversification de leur flotte vers des méthodes de pêche moins gourmandes en fioul.
L’armement Dhellemmes à Concarneau a par exemple diversifié sa flotte vers la senne danoise qui permet de réaliser 40 à 50% d’économie de carburant. Alors que les chalutiers consomment « deux litres par kilo de poisson sur l’essentiel des bateaux », les senneurs consomment un litre par kilo de poisson. Le président de l’armement déclarait en 2008 que le prix du carburant avait augmenté de « 143% depuis l’an 2000, alors que le cours moyen du poisson a enregistré dans le même laps de temps une hausse de 41% (…) Cela a forcément un impact important sur la rentabilité de l’entreprise. » « Le poste du carburant est devenu notre indicateur économique essentiel. »
On voit, par le biais des exemples que fournissent les trois armements hauturiers spécialistes du chalutage profond que la reconversion des navires se fait de gré ou de force, de façon à éviter la dépendance au prix du carburant et aux prises de poissons de fond, qui déclinent dans les captures alors que les poissons pélagiques augmentent (cf. étude de l’Ifremer en référence ci-dessous). L’avenir de méthodes aussi dépendantes au gasoil que le chalutage semble compromis.