28 novembre 2012
Un chercheur de l’institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) se fait nommer pour une durée de trois ans à l’organe scientifique le plus influent auprès de la Commission européenne et change de casquette pour rejoindre la flotte d’Intermarché précisément 90 jours plus tard, entrant ainsi en conflit d’intérêt flagrant avec sa position. C’est ce que révèle aujourd’hui l’association BLOOM œuvrant pour la préservation des océans profonds.
Lorsque le 27 octobre 2010, François Théret est nommé membre du Comité scientifique, technique et économique de la pêche (CSTEP), organe chargé de conseiller la Commission européenne en matière de politique des pêches et notamment de donner un « avis crucial »1 pour la fixation annuelle des totaux admissibles de captures et des quotas, il est chercheur à la station de Lorient de l’Ifremer. Rien à signaler. Mais trois mois plus tard jour pour jour, le 24 janvier 2011, les journaux bretons annoncent qu’il a rejoint la Scapêche, la flotte d’Intermarché basée à Lorient. Le comité alimentant la Commission européenne en avis scientifiques se retrouve ainsi bardé d’un représentant direct du principal intéressé français en matière de quotas d’espèces profondes. Le nouveau poste de M. Théret entre en contradiction directe avec l’acte fondateur du Comité2 exigeant des membres du CSTEP qu’ils agissent « indépendamment des Etats membres ou des parties prenantes » et qu’ils œuvrent dans « l’intérêt général ».
« Les nominations au CSTEP se font sur la base d’un appel à manifestations d’intérêt donc j’ai du mal à croire que le synchronisme entre la nomination de M. Théret au CSTEP et sa prise de position à la Scapêche soit fortuit, commente Claire Nouvian, fondatrice de BLOOM, d’autant que ce changement de casquette s’est produit précisément trois mois après la publication de la liste des membres du Comité scientifique. Ca ressemble à s’y tromper à l’application d’une convention collective sur les préavis de départ… »
Ce minutage précis ne semble pas être le fruit du hasard : la fixation des quotas de pêche pour les espèces profondes a lieu tous les deux ans, et la réunion du Conseil des ministres européens visant à fixer les taux admissibles de capture (TACs) a lieu aujourd’hui et demain à Bruxelles. L’avis le plus influent dans ce processus est celui que la Commission exprime dans sa proposition officielle sur les TACs et quotas, rendue publique le 9 octobre 2012, et largement inspirée de l’avis du CSTEP. « En somme, pour influencer ce document majeur, il fallait intégrer la promotion 2010 du CSTEP sachant que ses membres sont nommés pour trois ans » explique Claire Nouvian.
Résultat concret pour la Scapêche ? Un avis scientifique qui recommande une augmentation substantielle des quotas pour les espèces profondes ciblées par les navires français, notamment le sabre noir et le grenadier de roche.
Deux chercheurs de l’Ifremer, publiquement mis en cause par les ONG françaises en 2010 pour leur manque d’impartialité à l’égard de la pêche profonde au chalut de fond,3 font déjà partie de la « fusée scientifique » européenne4 à des endroits stratégiques pour la formulation d’avis concernant les espèces profondes.
« Il ne manquait plus à la flotte d’Intermarché qu’une courroie de transmission entre les avis scientifiques excessivement favorables aux flottes françaises et la Commission européenne en vue de la réunion du Conseil de l’Europe, où la Scapêche sait qu’elle peut compter sur l’appui du Ministre de la pêche, Frédéric Cuvillier. C’est un tour de force de ce lobby industriel qui a réussi à encercler le processus de décision des quotas. Ce déploiement redoutable me rappelle la technique de chasse des hyènes dans la savane » ajoute Claire Nouvian.
Une augmentation des quotas permettrait à la flotte d’Intermarché de clamer que la pêche profonde au chalut est «durable» et que la réforme du régime européen encadrant ces pêches extrêmement problématiques n’a pas besoin d’être ambitieuse. « Intermarché vient de donner une leçon magistrale de planning stratégique aux ONG. Je m’incline devant leur talent, mais certainement pas devant leur visée » affirme la dirigeante de BLOOM, qui rappelle que la flotte d’Intermarché a simultanément bénéficié d’aides à la sortie de flotte pour ses vieux navires ciblant les espèces profondes, et d’aides à la construction pour renouveler cette flotte et a, ce faisant, augmenté l’effort de pêche sur ces espèces sensibles, dans une contradiction criante des objectifs de la Politique Commune des Pêches.5
Claire Nouvian dit ne comprendre qu’aujourd’hui à quel point le Grenelle de la Mer a représenté une opportunité en or pour les représentants de la pêche industrielle pour mettre en place leur calendrier stratégique. « Alors que nous étions convaincus d’avoir une plate-forme de collaboration avec eux, ils étaient déjà en train de jouer la partie suivante. Ils ont notamment compris que les avis scientifiques étaient le maillon faible de leur mobilisation en défense de la pêche profonde. Ils y ont remédié avec maestria. »
Claire Nouvian conclut : « Je regrette que la complexité des processus européens mette en dehors de la portée du grand public tout le stratagème des influences qui se joue à Bruxelles » et appelle la ministre de l’écologie Delphine Batho ainsi que le président François Hollande à ne pas laisser l’un des géants de la distribution dicter au gouvernement sa position sur les pêches profondes.
1 – Organisation et financement du secteur de la pêche site (Site web officiel de l’Union européenne)
2 – Décision de la Commission 2005/629/EC (article 13-2)
3 – Voir la lettre écrite par les ONG françaises le 2 novembre 2010 au Ministre de l’Ecologie M. Jean-Louis Borloo à l’issue du Grenelle de la Mer : http://www.bloomassociation.org/download/2010_Sept_29_MPP%20BORLOO-V7.pdf ainsi que les annexes de cette lettre : http://www.bloomassociation.org/download/2010_Oct_29_MPP_Annexes_courrier_Borloo-V3.pdf
4 – Le CIEM : Comité international pour l’exploration de la mer qui produit les avis scientifiques pour les stocks de poissons de l’Atlantique Nord.
Télécharger le communiqué de BLOOM
Reaction de BLOOM à la décision du CONSEIL 29 nov 2012
Le 1er janvier 2013 | Linéaires
Pêche profonde : toujours en eau trouble
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Le 6 décembre 2012 | Le Marin
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Le 5 décembre 2012 | Le Point
Le massacre continue
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Le 4 décembre 2012 | Radio Classique
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Le 2 décembre 2012 | The Sunday Times
Scientist in Fish Row
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Le 30 novembre 2012 | Le Journal de l’Environnement
Les quotas de pêche profonde revus à la hausse en Europe
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Le 30 novembre 2012 | Ouest France
Grands fonds: hausse des quotas
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Le 30 novembre 2012 | Green et Vert
Le double jeu d’un chercheur de l’Ifremer à la solde d’Intermarché
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Le 30 novembre 2012 | Le Monde
L’Europe autorise une pêche accrue des poissons des eaux profonde Lire l’article
Le 30 novembre 2012 | EurActiv
Pêche profonde : des quotas en hausse pour 2013 et 2014
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Le 29 novembre 2012 | Le Monde
Conflit d’intérêts à Bruxelles sur la pêche profonde
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Le 28 novembre 2012 | Enviro2B
PECHE – Intermarché mis encause dans un « conflit d’intérêt flagrant »
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