28 juillet 2014
L’hypothèse est sortie jeudi dernier en fin de journée dans Ouest France et Le Marin, mais aucune trace officielle sur le site du Parlement européen : la députée socialiste Isabelle Thomas, marraine de BLUE FISH, plus gros lobby de la pêche industrielle en France, aurait été désignée rapporteur du règlement pêche profonde pour conduire les négociations à huis clos entre le Parlement, le Conseil et la Commission européenne, le fameux « trilogue » où l’opacité règne en maître.
« Une catastrophe » déclare Claire Nouvian, fondatrice de BLOOM : « Si cette nouvelle est confirmée, cela équivaut à mandater le plus farouche des lobbyistes pro-pêche industrielle pour négocier l’avenir du règlement qu’il a tenté de couler pendant de longs mois. Vous ne confieriez pas la résolution d’un dossier à son pire opposant ? C’est ce que le Parlement européen ferait en désignant Isabelle Thomas comme responsable du règlement pêche profonde. »
Lire les différentes tactiques mises en œuvre par les lobbies industriels et leurs alliés politiques, Isabelle Thomas en tête, pour défendre le chalutage profond, reconnu comme la technique de pêche la plus destructrice de l’Histoire.
Isabelle Thomas est officiellement marraine de BLUE FISH, le plus gros lobby de défense de la pêche industrielle, basé dans les locaux de l’agence d’urbanisme de Lorient et manifestement soutenu par la mairie, même si celle-ci demeure silencieuse sur les financements qu’elle procure à cette entité de lobbying aux méthodes douteuses.
Voir le courrier de demande d’explication des ONG sur le financement d’une enquête par la mairie de Lorient sur les associations de protection de la nature.
La députée socialiste Isabelle Thomas devra s’expliquer sur ce conflit d’intérêt qui entre en contradiction flagrante avec le code de conduite des eurodéputés qui stipule que les députés doivent agir dans « le respect des principes de conduite généraux suivants : le désintéressement, l’intégrité, la transparence, la diligence, l’honnêteté » et « uniquement dans l’intérêt général ». Le code de conduite précise qu’un conflit d’intérêts existe « lorsqu’un député au Parlement européen a un intérêt personnel qui pourrait influencer indûment l’exercice de ses fonctions en tant que député. »
« Pour défendre les intérêts du lobby chalutier de Bretagne et de Boulogne-sur-Mer, Isabelle Thomas n’a reculé devant rien, elle a voté avec l’UMP, cosigné avec les conservateurs européens et le FN les amendements de la pêche industrielle[1] et a menti explicitement en répandant récemment au Parlement la rumeur que l’ancien rapporteur du règlement pêche profonde (Kriton Arsenis) avait démissionné de ce dossier et fait retirer son nom du rapport, cela dans le but de décourager les potentiels prétendants au poste de rapporteur de ce règlement. C’est de la politique sans foi ni loi » témoigne Claire Nouvian qui rappelle qu’Isabelle Thomas est responsable des votes désastreux de la délégation socialiste française sur les dossiers pêche[2], mettant ainsi les Français en contradiction avec la majorité socialiste européenne.
Isabelle Thomas n’en est pas à son coup d’essai dans la défense des pratiques de pêche les plus destructrices et éthiquement contestables. Le 19 septembre 2012, elle n’a pas hésité à voter contre la position même du gouvernement français pour faire une tractation d’appuis croisés avec la rapporteur portugaise du règlement sur la découpe des ailerons de requins (Mme Patrao-Neves) en vue de son soutien futur sur le dossier pêche profonde. C’est ainsi que Mme Thomas a voté pour qu’on continue à découper les ailerons de requins à bord des navires et qu’en échange, Mme Patrao-Neves, élue des Açores (c’est-à-dire le seul endroit en Europe où se pratique une pêche profonde artisanale, durable et sélective, et où est déjà interdit le chalutage profond), a voté contre l’interdiction du chalutage profond en Europe, c’est-à-dire contre l’intérêt direct des pêcheurs de sa circonscription.
« Etant donné qu’il n’y a pas de traçabilité des votes en Commission de la pêche, Mme Thomas s’est autorisée à voter pour qu’on puisse continuer à débiter les ailerons de requins en mer, appuyant ainsi le maintien d’une faille nuisible à l’interdiction du « shark finning », une pratique qui constitue un gaspillage inacceptable et contribue à un taux de mortalité des requins qui n’est pas soutenable. Manque de chance, des collègues d’ONG étaient postés derrière elle pendant le vote en Commission et ont vu qu’elle avait voté pour cette pratique indéfendable » explique Claire Nouvian.
La directrice de BLOOM demeure toutefois incrédule quant à la véracité de cette nomination : « j’étais moi-même présente à la première réunion de la Commission de la Pêche du Parlement le 22 juillet dernier à Bruxelles et aucune annonce n’a été faite à propos des rapporteurs. Le Président de la Commission PECH, le breton UMP Alain Cadec, a même explicitement dit qu’il était impossible de faire endosser par les députés les nominations de rapporteurs étant donné que les recommandations ne leur avaient pas encore été envoyées. »
La nomination officielle du rapporteur s’effectuerait, en principe, en septembre puisque le Parlement est en vacances depuis la fin de la semaine dernière.
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Lire la réponse de BLOOM aux tentatives de création de controverse des lobbies.
Lire le communiqué de BLOOM, Deep Sea Conservation Coalition, Fondation GoodPlanet, Greenpeace, Les Amis de la Terre, OCEANA, WWF à propos des données inédites de l’IFREMER.
La pétition de BLOOM sommant François Hollande à défendre l’interdiction du chalutage profond a dépassé les 860 000 signataires.
Plus de 300 chercheurs internationaux soutiennent la proposition d’interdiction du chalutage profond.
NOTES
[1] Voir l’article du Figaro Magazine du 11 octobre 2013 à ce sujet, mettant en lumière les alliances entre UMP, PS et FN dans la Commission PECH.
[2]Le 10 décembre 2013, c’est elle qui est responsable de l’échec à quelques voix près de l’interdiction du chalutage profond (amendement n°62 qu’il fallait rejeter) en emmenant la délégation socialiste française à s’entêter contre les 800 000 signataires de la pétition de BLOOM, contre les 300 chercheurs internationaux demandant l’interdiction de cette méthode de pêche destructrice et en allant même contre les enseignes de la grande distribution qui les unes après les autres annoncent qu’elles cessent la commercialisation des espèces profondes.
Le 6 février 2013, au cours du vote du règlement de base de la Politique commune de la pêche, Isabelle Thomas a voté pour l’amendement n°297 déposé par la conservatrice PPE espagnole Carmen Fraga et destiné à vider de son contenu l’interdiction des rejets dans les pêches, elle a également rejeté le règlement de base dans son ensemble au cours du vote final, s’opposant ainsi à chaque fois à la majorité socialiste européenne qui suivait, elle, les recommandations de la rapporteur socialiste allemande du règlement (Ulrike Rodust).
Le 23 octobre 2013, sur le vote du nouvel outil financier de la pêche, le FEAMP, elle vote en faveur de la mesure phare du rapporteur PPE Alain Cadec, son plus proche allié politique, l’amendement 587 autorisant le renouvellement des flottes de pêche alors que tous les experts, halieutes et économistes, dénoncent la surcapacité des flottes et leur modernisation comme première cause de la surpêche.