Les petits pêcheurs côtiers, garants de la transition vers une pêche durable, sont menacés de disparition.
La petite pêche côtière représente un secteur d’importance sociale, économique, et culturelle pour nos territoires côtiers. Elle est définie au niveau européen comme les navires de moins de 12m de long et utilisant des engins de pêche “passifs” (aussi appelés “statiques” ou “dormants”) tels que les lignes, les casiers et les filets. En France métropolitaine, cette catégorie représente 70% des navires et 52% des emplois du secteur pour seulement 22% des captures.
Ces emplois sont aujourd’hui les plus menacés, les moins aidés, mais pourtant les plus prometteurs car répondant aux aspirations des citoyens en matière de durabilité environnementale, sociale et économique : les petits pêcheurs côtiers sont les garants de la transition vers une pêche durable. En effet, en raison des méthodes de pêche généralement plus douces, des faibles volumes de captures et d’une bonne valorisation, la petite pêche contribue à la préservation des écosystèmes marins. Cependant, depuis plus de 50 ans, des politiques publiques défaillantes ont permis l’essor d’une pêche industrielle qui saccage l’océan, à un rythme sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Les logiques productivistes ont conduit à la surpêche, première cause de destruction de l’océan. C’est le résultat direct d’une course aux innovations technologiques ayant favorisé la concentration des richesses entre les mains de quelques acteurs. La pêche en eaux profondes, la pêche électrique, la senne danoise ou les énormes chalutiers pélagiques qui pillent les mers en sont quelques exemples.
Les organes de représentation de la pêche française, et plus généralement en Europe, font l’apologie des méthodes de pêche à fort impact et non sélectives au titre « qu’il n’y a pas de mauvais engin, seulement des mauvais usages ». Cette formule toute faite sert de talisman à une remise en cause pourtant nécessaire des priorités face à l’hémorragie des emplois et des ressources marines. Le changement climatique emboîtant le pas à l’érosion de la biodiversité, l’urgence est devenue d’autant plus pressante de rendre les écosystèmes marins résilients face aux modifications profondes de notre environnement.
BLOOM a décidé de prendre le temps de consulter les pêcheurs en allant à leur rencontre pendant plusieurs semaines afin de recueillir des témoignages. Près de 80 pêcheurs ont été interrogés en mai 2019 et en février 2020.
Carte représentant les ports (en vert) dans lesquels des petits pêcheurs ont été interrogés
Exemples d’entretiens menés avec des pêcheurs (ici aux Sables d’Olonne, à St Gilles Croix de Vie et à l’Ile d’Yeu) - Photos © Pierre Gleizes
Les retranscriptions et l’analyse des données ne sont pas terminées mais il est d’ores et déjà possible d’établir quelques tendances.
La très grande majorité des pêcheurs déplore la raréfaction des ressources. Pour compenser les pertes, les pêcheurs déploient davantage de matériels (plus de casiers, plus d’hameçons et des longueurs de filet plus importantes). La compétition entre les pêcheurs est ainsi accrue et la cohabitation devient parfois difficile. Le matériel peut être pris pour cible. En conséquence, les pêcheurs sont peu solidaires et nombre d’entre eux regrettent le manque de fédération qui profite ainsi aux gros armements.
Les quotas sont répartis en sous-quotas entre les différentes organisations de producteurs (OP) sur la base des antériorités de captures réalisées par les adhérents sur la période de référence 2001-2003. Or, sur cette période de référence, très peu des navires de la petite pêche artisanale adhéraient aux OP et déclaraient leurs captures. Ainsi, la majeure partie des antériorités effectives du secteur n’a pas été prise en compte.
L’obtention de quotas passe nécessairement par le rachat d’un navire qui dispose d’antériorités de pêche. Les pêcheurs estiment que ce système est une aberration car il récompense les pêcheurs qui ont le plus pêché et potentiellement triché en faisant de fausses déclarations ou en surpêchant. L’accès à la ressource est donc compliqué, notamment pour les jeunes qui s’installent. Le prix des bateaux est très élevé car il tient compte des droits de pêche c’est-à-dire des quotas acquis par le pêcheur.
Les quotas ne suffisent pas. Les pêcheurs doivent également obtenir des licences. Elles permettent de pêcher une ou plusieurs espèces avec un engin déterminé. Par exemple, il existe une « licence bar de ligne » et une licence « bar de filet ». Le système a poussé les pêcheurs à se spécialiser et à perdre leur polyvalence. En cas de problème sur une espèce (surpêche, maladie…), ils peuvent difficilement se rabattre sur d’autres espèces car ils n’ont ni les licences ni les quotas. Il faut parfois des années pour obtenir certaines licences.
Les pêcheurs ont le sentiment que l’administration devient de plus en plus lourde, et la réglementation est de plus en plus contraignante. Ils doivent, par exemple, repasser des examens payants pour valider des diplômes pour utiliser une VHF. Il a été rapporté plusieurs cas de pêcheurs, notamment en Méditerranée, qui se sont vus retirer leur permis de mise en exploitation (licence qui arme le bateau à la pêche professionnelle) car ils sont sortis moins de 180 jours dans l’année. Un autre point souvent évoqué, quelque soit la façade maritime, est l’interdiction de s’éloigner à plus de 5 milles du port de départ pour les navires en catégorie 4. En effet, les navires de pêche sont classés en cinq catégories de navigation selon le Code rural. Chaque catégorie définit la zone navigable par le bateau. Pour la petite pêche, les bateaux sont en catégorie 3 (« navigation au cours de laquelle le navire ne s’éloigne pas de plus de 20 milles de la terre la plus proche. ») ou en catégorie 4 (navigation au cours de laquelle le navire ne s’éloigne pas de plus de 5 milles au-delà de la limite des eaux abritées où se trouve son port de départ »). Cette limitation cantonne ces navires dans une petite partie de la bande côtière.
La majorité des pêcheurs critique la gestion opaque des Organisations de producteurs (OP) et la répartition inique des quotas. Il y aurait au sein de certaines OP des conflits d’intérêts entre les dirigeants et certains gros armements. L’adhésion aux OP n’est pas obligatoire mais un pêcheur qui déciderait de quitter une OP perdrait ses quotas. La plupart des non adhérents aux OP sont des pêcheurs qui ciblent des espèces non soumises à quotas, par exemple, le bar, ou les crustacés (bulot, araignée, homard…). Le bar n’est pas soumis à quota mais à des limites maximales de capture définies par le type de licence. Une fois la limite nationale atteinte, la pêche est fermée, même si le pêcheur n’a pas atteint sa limite de capture annuelle.
Tous les pêcheurs paient des cotisations professionnelles obligatoires auprès des Comités des pêches. Mais de nombreux pêcheurs interrogés ne se sentent ni écoutés ni défendus par leurs instances de représentation. Ils ont le sentiment que le Comité national des pêches est de connivence avec les gros armements.
Ils se sentent désabusés et peu d’entre eux participent à des réunions : ils estiment qu’il ne sont pas écoutés alors que leur participation implique de perdre des jours de pêche. Les décisions se prennent généralement sans eux, et contre leurs intérêts.
24 avril 2020
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