Alors que les navires de pêche industrielle représentent environ 20% de la flotte mondiale, ils assurent aujourd’hui près de 80% des captures totales.
À l’instar d’autres secteurs, la pêche a commencé à être industrialisée à partir du XIXe siècle. En Europe d’abord, puis aux États-Unis, au Japon, en Russie etc. L’introduction d’innovations technologiques – telles que les moteurs à vapeur puis à explosion, la réfrigération à bord, le chalut, les navires-usines etc. – a en effet permis aux flottes de démultiplier leur puissance de pêche et de réaliser des prises d’un niveau sans précédent. En parallèle, des filières ont aussi commencé à se structurer. De nouveaux marchés se sont également ouverts. Grâce à l’essor des conserveries et à la révolution des transports, le poisson peut alors être acheminé plus facilement dans des régions éloignées des côtes. Seules les deux guerres mondiales marquent une pause dans ce processus et offrent aux stocks un repos biologique forcé.
En 1946, une conférence consacrée à la surpêche est organisée à Londres. L’essentiel des flottes ayant été détruit durant le conflit, il convient d’anticiper leur reconstruction afin d’éviter une nouvelle « escalade de kilowatts ». Mais faute d’accord entre les pays bordant la mer du Nord, la mise en garde n’est guère suivie d’actes. Au contraire, c’est avec le concours financier des États que les flottes sont reconstituées et, les filières, modernisées.
À cette époque, règne encore le mythe tenace d’un océan inépuisable. Selon cette logique, certains stocks peuvent certes enregistrer des variations de population mais il paraît encore difficilement concevable qu’un tel risque puisse exister à grande échelle. C’est ce changement scalaire qui se produit durant la seconde moitié du XXe siècle, période marquée par une extension mondiale des flottes et, ce faisant, par la mondialisation du problème de la surpêche.
Le rapide accroissement de la pression exercée sur les stocks conduit à une première réduction des prises près des côtes. Grâce à l’essor continu des technologies et en raison du principe de liberté des mers qui prévaut, les flottes suivent un processus de triple expansion: elles commencent d’abord par cibler de nouvelles espèces, puis s’éloignent des côtes avant de mettre en exploitation des stocks des grandes profondeurs.
Provenance des débarquements en 1950. Source: Sea Around Us.
Provenance des débarquements en 2016. Source: Sea Around Us.
Dès la fin du XIXe siècle, les captures connaissent des fluctuations importantes dans plusieurs zones. Si celles-ci sont alors le plus souvent attribuées à des variations environnementales, certains scientifiques commencent néanmoins à émettre l’hypothèse d’un risque de surpêche [1] . Pourtant, la course industrielle poursuit sa trajectoire et les quelques initiatives entreprises pour remédier au déclin des stocks s’avèrent très insuffisantes. Durant les années 1930, la disparition des populations de baleines due à la chasse intensive conduit, par exemple, à l’adoption de deux conventions internationales. Mais plusieurs États-clefs n’y étant pas parties, ces deux accords deviennent de fait inopérants. Seules les deux guerres mondiales offrent aux ressources halieutiques un repos biologique forcé.
À partir des années 1970, la prise de conscience des risques environnementaux induits par l’industrialisation conduit à un premier avertissement. En 1972, les auteurs du rapport intitulé Les Limites de croissance signalent par exemple que les prises mondiales ont enregistré une baisse significative en 1969. Mais ce n’est véritablement qu’en 1992 que le problème de la surpêche prend une ampleur internationale avec l’instauration d’un moratoire sur la morue de Terre-Neuve. Exploités depuis le XVIe siècle, les stocks les plus productifs d’Atlantique nord s’effondrent brutalement.
Après avoir fermé ses eaux aux flottes étrangères en 1977 afin de réduire la pression exercée sur les ressources, le Canada a effectivement décidé de soutenir massivement sa flotte. Dans cette optique, le gouvernement a adopté des programmes de subventions dont les effets pervers ne tardent pas à intervenir. Entre 1977 et 1981, le nombre de bateaux augmente de 23% et les prises de 27%. Simultanément, l’effort déployé par les flottes étrangères à proximité des eaux canadiennes augmente également. En une décennie, la situation se dégrade au point d’en arriver à l’effondrement des stocks.
Dès le XVIIIe siècle, l’économiste anglais Adam Smith a critiqué les subventions allouées au secteur de la pêche. Dans son célèbre ouvrage intitulé La Richesse des Nations, le père de l’économie a dénoncé les méfaits causés par les aides accordées par la Couronne britannique aux pêcheries écossaises de harengs. Le royaume, qui est alors en conflit avec les Pays-Bas pour l’exploitation de la précieuse ressource, a en effet mis en place un système très avantageux de subventions visant à encourager l’introduction d’un nouveau type de navires développé par les Hollandais. Deux siècles et demi plus tard, les États continuent de subventionner massivement leurs flottes de pêche au détriment des ressources marines et en dépit de leurs engagements internationaux.Le soutien précoce des États
Dans le contexte post-guerre froide où les enjeux environnementaux remontent subitement dans l’agenda international, le moratoire canadien constitue un point de rupture. La surpêche devient un problème à part entière auquel il convient de répondre en élaborant des instruments internationaux de gouvernance. Dans cette optique, la régulation des subventions va progressivement être considérée comme un moyen structurel de régulation.
Créée en 1995, l’Organisation mondiale du commerce apparaît à ce moment comme l’arène la plus appropriée pour négocier un tel accord. Malgré la survenue des premières dissensions, l’Islande réussit en 1999 à obtenir des membres qu’ils s’accordent pour « éliminer les subventions qui contribuent à la surcapacité de pêche, compte tenu du fait qu’elles faussent les échanges, compromettent l’utilisation durable des ressources et entravent le développement ».