08 juillet 2013
Le 4 juillet 2013, Le Nouvel Observateur a révélé l’existence d’un rapport confidentiel de la Cour des Comptes sur les aides publiques accordées au secteur de la pêche en France.
Ce rapport extrêmement sévère, montrant que les subventions publiques dépassent le chiffre d’affaires généré par le secteur de la pêche (environ un milliard d’euros par an), a été enterré en 2010, sous le gouvernement Sarkozy, au moment où Bruno Lemaire était Ministre de l’agriculture et de la pêche, et un an après le coup d’envoi de la réforme de la Politique Commune de la Pêche (PCP). Or depuis que le PS a reconquis le pouvoir, quid de ce rapport explosif dont la publication aurait entièrement réorienté les négociations européennes et la position de la France ?
Il est resté enfoui dans les limbes de la rue Cambon… Et le ministre socialiste à la pêche, Frédéric Cuvillier, a poursuivi la ligne tracée par son prédécesseur UMP Bruno Lemaire sur les négociations pêche : renier le constat d’échec, combattre les ambitions de la Commission européenne de reconstituer les stocks de poissons et de faire de l’emploi une priorité (et non la production), contester la dépendance du secteur aux subventions, récuser sa sous-performance économique, nier les avantages accordés à la pêche industrielle, refuser toute responsabilité dans l’agonie de la pêche artisanale. En somme : ne rien changer, maintenir le statu quo et laisser le secteur aller à vau-l’eau mais en donnant satisfaction aux lobbies… et à des objectifs électoraux personnels.
C’est ainsi qu’en mai dernier, la partie la plus importante des négociations en matière de pêche s’est soldée par la conclusion d’un accord inadapté à l’urgence de la situation, et cela principalement en raison du blocage de la France jusqu’à la dernière minute des négociations.
Heureusement, le rapport secret, désormais consultable sur le site du Nouvel Obs sort in extremis avant que ne soit voté mercredi 10 juillet 2013, à la Commission pêche du Parlement européen, le budget de la Politique commune de la pêche, soit un minimum de 6 milliards d’euros.
Quel en est l’enjeu principal ? Le rapporteur du volet financier de la PCP, le député breton Alain Cadec, propose de réintroduire des aides pour la construction de navires, bien que ces aides eurent été dénoncées par la Cour des Comptes, la Commission européenne et l’ensemble des chercheurs comme étant les raisons mêmes de la dégradation des ressources marines, de la performance économique du secteur et in fine de l’emploi.
« Financer des navires alors que l’Europe échoue à reconstituer ses stocks de poissons, c’est précisément le genre de mesures néfastes que la publication du rapport de la Cour des Comptes aurait évité : aucun élu n’aurait été en position de défendre une telle proposition avec une évaluation publique aussi désastreuse » commente Claire Nouvian, fondatrice de BLOOM.
« La France a privé l’Union européenne d’un document essentiel qui confirmait le constat d’échec dressé par la Commission européenne sur les politiques publiques en matière de pêche. S’il avait été rendu public ou au moins accessible aux décideurs, ce bilan aurait entièrement changé la façon dont se sont déroulées les négociations et n’aurait pas permis à la France de se comporter comme elle l’a fait, en élément bloquant et diplomate toxique », déplore Claire Nouvian. « C’est un acte grave d’avoir supprimé une telle pièce à conviction du débat démocratique. »
Dans son « Livre vert » lançant la réforme de la PCP[1] en 2009, la Commission européenne faisait une critique acerbe des politiques menées et indiquait « qu’une réforme globale et en profondeur » pouvait seule « susciter le changement radical nécessaire pour inverser le cours des choses », qu’elle caractérisait par « une surexploitation des stocks, une surcapacité des flottes de pêche, de fortes subventions, une faible résilience économique et une baisse des quantités de poissons capturées par les pêcheurs européens. »
Le Livre Vert poursuivait : « Il ne doit pas s’agir d’une nouvelle réforme fragmentaire par petites touches, mais d’une véritable mutation permettant de venir à bout des raisons profondes qui sont à l’origine du cercle vicieux dans lequel la pêche européenne est emprisonnée depuis ces dernières décennies. »
En faisant disparaître à un moment aussi critique cette contribution essentielle de la Cour des Comptes, la France s’est assurée que « le cercle vicieux », dénoncé par le rapport comme menant le secteur à sa perte, puisse se poursuivre sans encombre. « A gauche comme à droite, les politiques en matière de pêche procèdent de la même opacité, du même court-termisme et des mêmes liens avec les lobbies industriels » affirme Claire Nouvian, qui cite pour preuve le refus de collaboration, mentionné dans le Rapport secret de la Cour, de Philippe Mauguin, directeur des pêches de Bruno Lemaire et actuellement… chef de cabinet de Stéphane Le Foll.
« Qu’il s’agisse des ministres ou des députés européens, le PS et l’UMP sont sur la même ligne en matière de pêche. Cela a été confirmé par le vote de la PCP par la délégation socialiste française au Parlement européen, la seule à avoir voté contre tous les autres Socialistes européens et à avoir rejeté les objectifs de reconstitution des stocks de poissons… »
Un dossier embarrassant qu’il incombera désormais au nouveau Ministre de l’Ecologie Philippe Martin de traiter.
Lire l’analyse de BLOOM du Rapport secret de la Cour des Comptes
[1] Livre vert de la Commission européenne publié le 22 avril 2009 : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2009:0163:FIN:fr:PDF