02 janvier 2011
En 2009, les pêches profondes représentaient 1,48% des pêches françaises en volumes débarqués (7300 tonnes sur 491 720) et 1,43% des ventes (17 M€ sur 1,182 M€ pour la pêche globale.)
Les déclarations de l’armement ne cachent pas une faiblesse structurelle chronique et révèlent les contraintes des navires par rapport à leur capacité de cale :
« La Scapêche, filiale d’armement à la pêche du groupe Intermarché, vient tout juste de mettre en service trois navires de 45 mètres, spécialement conçus pour les grands fonds. Ces bateaux étaient sur le point de parvenir à équilibrer, après des années de déficit et d’investissement du groupe dans la filière. Leur capacité de cale limitée ne leur permet guère de cibler des espèces de masse comme le lieu noir, dont le prix de marché vient à peine de se stabiliser autour d’1 euro.[1] »
La Scapêche insiste plus sur la « viabilité » de ses opérations que sur leur « rentabilité. »[2]
L’examen des comptes de 2002 à 2008 révèle une situation désastreuse : malgré les aides directes (aide à la construction, aides au gasoil FPAP[3]) et indirectes de l’Etat (détaxe gasoil), la Scapêche affiche une perte d’exploitation cumulée de 7,32 millions d’euros soit 6,8% du chiffre d’affaires sur la période considérée.
Bien que la société ait bénéficié en 2008 d’une aide à la sortie de flotte de 2,24 millions d’euros (Simon Kéghian II et Mariette Le Roch I) passée en produits exceptionnels, elle a enregistré la même année une perte nette avant impôt de 3,13 millions.
A titre indicatif, pour la seule année 2008, la réintégration des subventions directes d’exploitation (0,2 M€) et de la détaxe gasoil (6 M€)402 porterait la perte d’exploitation à 7,28 M€ soit 34,8% du chiffres d’affaires et la perte nette à plus de 9 M€.
L’endettement à long terme de la société est anormalement élevé. Faute de pouvoir recourir largement à l’emprunt bancaire (7,8 M€ fin 2008), l’essentiel des concours financiers provient du groupe Intermarché (20,4 M€ fin 2008), auxquels il conviendrait d’ajouter 13 M€ en 2002 et 3,9 M€ en 2005 correspondant à des abandons de créance d’ITME (société du Groupe Intermarché). Malgré les conditions avantageuses que lui consent le groupe, Scapêche supporte des frais financiers considérables (3,98 M€ en 2008 représentant 19% du chiffre d’affaires).
Pour mémoire, il convient de noter qu’en plus des 3.9 M€ d’aides à la sortie de flotte perçus de 2006 à 2008, la Scapêche a reçu 2.8 M€ d’aide à la construction de 1999 à 2001 et 3 M€ d’aide à la modernisation entre 1996 et 2004. La société a également bénéficié entre 2004 et 2007 de plus de 2 M€ d’aide au titre du FPAP qu’elle devra rembourser en 2010.
En mai 2009, les perspectives d’avenir ne semblaient guère plus brillantes. Le rapport de gestion à l’Assemblée Générale Ordinaire Annuelle et Extraordinaire faisait état d’une « année de consolidation des résultats consécutive à la restructuration », prévoyait des travaux de refonte de trois chalutiers de 33 m à hauteur de 1,2 M€ et envisageait une perte de 0,5 M€ pour l’exercice en cours.
Les comptes de 2009, 2010 et 2011 ne sont pas disponibles au Greffe du Tribunal de Commerce malgré l’obligation qui est faite aux sociétés de déposer leurs comptes. La Scapêche semble préférer s’exposer à la (faible) amende prévue par le code de commerce pour non publication des comptes plutôt que de déposer ceux-ci.
En conclusion, il apparaît clairement que malgré des conditions d’exploitation faussées par les aides publiques, la Scapêche n’est absolument pas viable et serait incapable de survivre sans le concours du groupe (ITME, COMATA, COMASUD).
SCAPECHE (Intermarché) |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
Cumul |
|
M € |
M € |
M € |
M € |
M € |
M € |
M € |
M € |
M € |
M € |
% CA |
|
Chiffre d’affaires |
13,00 |
12,10 |
12,92 |
15,65 |
16,89 |
15,97 |
20,88 |
nd |
nd |
107,41 |
100,0% |
Résultat d’exploitation* |
-3,21 |
-2,72 |
-2,43 |
0,32 |
0,96 |
1,05 |
-1,28 |
nd |
nd |
-7,32 |
-6,8% |
Résultat courant avant impot** |
-3,97 |
-3,57 |
-3,08 |
-0,44 |
0,56 |
0,39 |
-5,2 |
nd |
nd |
-15,30 |
-14,2% |
Résultat net apres impot*** |
9,29 |
-3,49 |
-3,6 |
3,54 |
1,06 |
0,42 |
-3,13 |
nd |
nd |
4,13 |
3,9% |
L’examen des comptes de 2006 à 2009 révèle une situation qui n’est guère plus brillante que celle de la Scapêche.
Malgré les aides directes et indirectes de l’Etat, la société affiche des pertes d’exploitation chroniques dont le cumul s’élève à 5,58 M€ , soit 5,2 % du chiffre d’affaires sur la période considérée.
Euronor a bénéficié d’une aide à la sortie de flotte de 1,95 M€ en 2008 et de 1,95 M€ en 2009. Malgré la constatation de ces aides en produits exceptionnels, la société a enregistré des pertes nettes respectives de 1.36 M€ et de 0,91 M€ au cours de ces deux exercices .
A titre indicatif, la réintégration en 2008 de la détaxe gasoil (8 M€)[4] porterait la perte d’exploitation à 11 M€, soit 40% du chiffres d’affaires, et la perte nette à 9.36 M€.
Pour mémoire, Euronor a indirectement bénéficié de 3.9 M€ d’aide à la construction entre 2001 et 2002 et directement de 3,9 M€ d’aides à la sortie de flotte en 2008 et 2009.
La société a également sans doute bénéficié entre 2004 et 2007 de plus de 4 M€ d’aides au titre du FPAP, qu’elle devait rembourser en 2010 (d’où, entre autres raisons, le rachat par UK Fisheries en décembre 2010).
Bien qu’Euronor soit en meilleure santé financière que la Scapêche, la société est sous- capitalisée. A fin de 2009, les dettes financières (à moins d’un an) s’élèvent à 5,5 M€ et représentent 86% de la situation nette.
Structurellement déficitaire en exploitation, Euronor n’était guère plus viable que la Scapêche et incapable de survivre sans les aides directes et indirectes de l’Etat. La condamnation de Bruxelles et l’obligation qui fut faite aux entreprises de pêche française de rembourser les aides reçues au titre du FPAP a vraisemblablement précipité la trésorerie d’Euronor dans un gouffre dont seul un rachat pouvait sortir l’entreprise.
Euronor a quasiment achevé la reconversion de ses navires vers des pêches ciblant d’autres espèces que les espèces profondes. Euronor ne possède plus qu’un navire (le Cap Saint-Georges) ciblant des espèces profondes (lingue bleue et sabre noir), essentiellement au printemps. Euronor est retourné à son métier traditionnel : le lieu noir. Les captures de lieu noir de l’armement (quota de 23 658 tonnes par an[5]) représentent 90% du quota français. Euronor a obtenu la certification MSC pour le lieu noir le 15 mars 2010.
Si l’on s’en tient au rapport de gestion du Président, 2010 a été une année d’exploitation « correcte » pour ne pas dire bonne. En effet pour la 1ère fois depuis quatre ans, le résultat d’exploitation (+0,71 M€) est bénéficiaire. Ce résultat a été obtenu grâce à une augmentation de 8% du chiffre d’affaires alliée à une légère diminution des charges d’exploitation.
Il n’en va pas de même du résultat net après impôts : la société affiche en 2010 une perte nette de 4,68 M€ essentiellement due à la constitution d’une provision de 4,44 M€ pour couvrir les remboursements des aides FPAP (gasoil) et Erika exigibles en 2011.
A noter qu’à fin 2010, UK Fisheries devient seul actionnaire d’Euronor.
Les pertes cumulées étant supérieures à la moitié du capital social, il a été décidé par Assemblée Générale Extraordinaire du 29 juin 2011 de ne pas dissoudre la société et de procéder à sa recapitalisation dans les délais impartis par la loi.
Comme pour Dhellemmes, la forte hausse du prix du gasoil rend les perspectives 2011 peu encourageantes, la société est à la recherche de solutions permettant d’économiser la consommation de carburant à bord des navires.
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EURONOR |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
Cumul |
|
M € |
M € |
M € |
M € |
M € |
M € |
% CA |
|
Chiffre d’affaires |
29,82 |
28,62 |
27,44 |
21,68 |
23,45 |
131,01 |
100,0% |
Résultat d’exploitation* |
0,02 |
-1,00 |
-3,03 |
-1,569 |
0,71 |
-4,869 |
-3,7% |
Résultat courant avant impôt** |
0,00 |
-1,39 |
-3,39 |
-1,74 |
0,59 |
-5,93 |
-4,5% |
Résultat net après impôt*** |
-0,04 |
-1,70 |
-1,36 |
-0,906 |
-4,68 |
-8,686 |
-6,6% |
[1] Le Marin du vendredi 12 mars 2010 « Douze chalutiers français concernés au premier chef ».
[2] Communication du Directeur général de la Scapêche à la réunion organisée par Cap Lorient avec Pew Environment Group le 13 avril 2010 à Bruxelles.
[3] FPAP : Le Fonds de Prévention des Aléas de la Pêche (FPAP) a été créé en avril 2004 pour aider les entreprises de pêche à faire face à la hausse du prix du carburant. Cette mesure a été considérée comme une aide d’Etat incompatible avec le marché commun et a pris fin début 2007. Les entreprises ont donc bénéficié de cette aide sur leurs exercices de 2004 à 2006. Le 20 mai 2008, la Commission européenne exige que les entreprises, et non l’Etat, remboursent les 87 millions d’aides qui furent allouées au cours des trois années.
[4] Calculé sur la base d’une consommation en valeur égale a 30% du chiffre d’affaires, d’un prix HT de 0.652/l, d’un prix TTC de 1.291/l (source : Ifremer) ; au regard des achats de matières premières figurant dans les comptes, ces chiffres sont conservateurs.
[5]http://www.msc.org/documentation/fiches-signaletiques/EURONOR%20FFS%20FI…
Pour plusieurs raisons :
1/ Parce qu’il n’y a plus rien d’autre à pêcher. La pêche profonde, c’est littéralement le bout du rouleau. Donnez-leur du quota de lotte, de cabillaud ou d’églefin, et ces navires cesseraient volontiers la pêche profonde mais problème : les captures de poissons réalisées par les flottes européennes dans l’Atlantique Nord-Est ont chuté de près de moitié depuis 1995 seulement, et le déclin est naturellement bien plus dramatique si on repousse plus avant le curseur. La raison aurait voulu que ces bateaux surdimensionnés accompagnent dans le gouffre les stocks de poissons traditionnels qu’ils y ont envoyés. Mais entre leur capital ou les poissons des profondeurs, ils ont préféré sacrifier les océans profonds. Pression politique et menaces de troubles de l’ordre social aidant, il n’y eut non seulement aucun réajustement de l’outil industriel à la capacité biologique de la ressource mais au contraire, à force de louvoiements et de complicité des cabinets ministériels, Intermarché a même obtenu de se faire refinancer une flotte de pêche profonde sur deniers publics alors que tous les avis scientifiques étaient au rouge. C’est ainsi que trois bateaux flambant neuf de 46 mètres ont rejoint en 2005 sa flotte. Voilà comment les Français et les Européens portent à bout de bras une activité à bout de souffle.
2/ Parce qu’Intermarché y trouve son compte. De l’aveu même des enseignes de la grande distribution, les rayons poissonnerie des supermarchés ne sont pas fortement bénéficiaires, mais ne pas offrir de poissons frais les sanctionne donc le rayon marée est un « must » pour attirer le chaland. Et Intermarché l’a bien compris. Au lieu d’investir dans des politiques d’approvisionnement en poisson durable comme l’ont fait Casino ou Carrefour par exemple, Intermarché a mis le paquet sur la publicité et la communication, allant jusqu’à payer Bureau Véritas pour lui tailler sur mesure un faux label vantant de fausses vertus (voir la publicité que BLOOM a fait interdire et le classement des supermarchés de BLOOM). D’après les concurrents de l’enseigne, l’enfumage massif des Français par le groupe des Mousquetaires fonctionne et lentement mais sûrement, Intermarché grignote des parts de marché en utilisant notamment le poisson comme produit d’appel pour attirer les clients. On est ici bien loin de la pêche traditionnelle, à taille humaine, permettant de préserver l’équilibre des territoires et les savoir-faire dans le respect de la ressource. Oh non. La pêche n’est qu’une des composantes business de la stratégie des Mousquetaires : actuellement à la 11ème place des industriels de l’agroalimentaire, le groupe s’est fixé l’objectif de parvenir à la 5ème place d’ici quelques années et déploie un rouleau compresseur, notamment en efforts de lobbying, pour atteindre ce but, déterminé à ne pas laisser quelques écologistes nuisibles mettre en péril un rêve impérialiste aussi grandiose. Peu importe donc de perdre au niveau de la flotte puisque l’équilibre se fait au niveau des supermarchés. Si en outre l’approvisionnement en poisson permet d’augmenter les parts de marché de l’enseigne, la stratégie est même un véritable succès. De là à savoir si le réseau des supermarchés indépendants ne profite pas de prix dumpés au-dessous du prix du marché leur permettant en plus d’augmenter leurs marges quitte à faire concurrence déloyale aux autres acteurs du secteur, seule l’autorité fiscale ou la répression des fraudes sont habilitées à s’en assurer.
Triste morale en tous cas qui veut que la mauvaise foi et le matraquage publicitaire rapportent plus gros que les efforts sincères de prendre au sérieux la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Mais pour combien de temps ? La pression croît du côté des consommateurs, et aussi lentement mais sûrement qu’Intermarché s’enferre dans des pratiques de pêche destructrices et de greenwashing, sa réputation auprès des Français se ternit et le contrat de confiance qui lie l’enseigne à ses clients s’effrite.