01 janvier 2011
Pêche Profonde : Quel est le problème ?
Les espèces de grands fonds sont caractérisées par une croissance lente, une longévité importante ou extrême, une maturité sexuelle tardive et un faible taux de fécondité, autant de paramètres biologiques qui font d’elles des espèces excessivement vulnérables à l’exploitation et fort peu résilientes.
Une première donnée à reparamétrer dans nos esprits : il existe une plus grande diversité de coraux dans les profondeurs océaniques que dans les eaux de surface.
Une deuxième : l’attention s’est beaucoup concentrée sur les coraux formant des récifs profonds alors que la diversité corallienne profonde est principalement constituée d’espèces vivant de façon solitaire ou en colonies isolées.
On a donc tendance à associer les coraux profonds (vivant entre 300 et 3,000 mètres environ) aux seuls récifs coralliens profonds. Les récifs de coraux profonds forment en effet des écosystèmes exceptionnels par leur taille, leur diversité biologique, leur fort taux d’endémisme, la biomasse accrue qui se développe à leur proximité et par l’habitat qu’ils créent pour les autres espèces, notamment les poissons et les invertébrés. Néanmoins, rappelons que seules six espèces coralliennes profondes (et deux en particulier : Oculina et Lophelia) sont capables de bâtir des récifs, tandis qu’environ 3300 autres espèces de coraux profonds (sans zooxanthelles) se répartissent de façon dispersée dans les océans profonds.
Leur squelette est rigide, souvent cassant et systématiquement broyé et/ou arraché s’il entre en contact avec un engin de pêche (chalut, filet mais aussi palangre). Compte tenu de leur faible masse individuelle, les ‘captures’ de coraux sont souvent peu importantes en poids lorsqu’ils sont capturés en dehors des zones de récifs coralliens.
Les coraux profonds comptent les organismes les plus longévives de la planète. Jusque très récemment, nous pensions qu’ils pouvaient atteindre l’âge vénérable de 1800 ans et étions loin de nous douter qu’en 2009, les estimations d’âge de ces champions de la longévité allaient doubler ! Des méthodes de datation radiocarbone ont ainsi établi que certaines espèces (Gerardia sp. et Leiopathes sp.) pouvaient atteindre plus de 4000 ans, faisant d’eux les animaux les plus longévives du monde.
Leur vitesse de croissance serait comprise entre 5 et 26 mm/an. Alors que les coraux continuent de croître par leur partie terminale, les parties basses, plus anciennes, meurent et sont colonisées par des organismes provoquant l’érosion des squelettes calcaires. Ainsi, se forment de véritables monts avec à la base l’accumulation des débris, puis des coraux morts et enfin au sommet des coraux vivants. La faune associée aux coraux profonds est spectaculaire par la densité d’organismes de grande taille (mégafaune), qui contraste fortement avec le milieu sédimentaire environnant (peuplé d’animaux très diversifiés mais de petite taille). On pense qu’environ 2000 espèces au minimum sont associées aux formations coralliennes.
De nombreux poissons ayant une importance commerciale ont été observés sur les récifs de coraux froids, incluant une douzaine d’espèces très importantes pour la pêche (brosme, morue, hoplostèthe ou empereur, baudroie, sébaste, lieu noir), ainsi qu’une dizaine moins pêchées mais également commercialisées (lingue bleue, grenadier, Beryx).
Les massifs de coraux sont de formes et dimensions variables. En Norvège, les récifs, principalement formés par l’espèce Lophelia pertusa, s’étendent sur des kilomètres de longueur et environ 500 mètres de largeur et jusqu’à 35 mètres de hauteur. De tels récifs ont mis plus de 9000 ans à se former.
Les éponges ont été découvertes dans tous les océans du monde, tant dans les eaux profondes que peu profondes. En Atlantique Nord-Est, l’existence de lits d’éponges est souvent signalée par les pêcheurs travaillant à des centaines de mètres de profondeur. Les récifs « d’éponges de verre » étaient autrefois des structures majeures dans les océans profonds, et jusqu’à récemment, ces récifs étaient considérés comme éteints. Toutefois, une série de récifs géants ont été récemment découverts au large de la côte Ouest du Canada, au large de la Colombie-Britannique. Certains étaient déjà sévèrement endommagés par le chalutage profond. Ces récifs d’éponges de verre datent de 9000 ans et couvrent une surface de 700 km2. Ils atteignant par endroits une hauteur de 19 mètres ! Les éponges peuvent avoir plus de 100 ans individuellement et peser jusqu’à 80 kg.
Les éponges profondes possèdent des propriétés biochimiques et génétiques encore sous explorées mais prometteuses et qui font d’elles des animaux rares ou uniques, et des concentrations d’éponges deslaboratoires vivants.
Les récifs d’éponges servent de refuge aux poissons et aux invertébrés qui les utilisent comme lieu d’alimentation, de reproduction, de développement pour les juvéniles ou comme dortoir pour les espèces diurnes. Les chercheurs ont trouvé près de deux fois plus d’espèces à proximité des champs d’éponges que sur le fond marin avoisinant. Ils ont aussi trouvé des zones endommagées par le chalutage profond. Comme les coraux d’eaux froides, les éponges profondes ont une croissance lente, elles sont fragiles et très vulnérables aux dommages causés par les engins de pêche de fond. Le rétablissement peut prendre des siècles, s’il a lieu tout court.
Les espèces de poissons profonds sont typiquement de petite taille et peu musculeuses. Elles possèdent une chair aqueuse et un corps mou qui ne présente aucun intérêt commercial, même pour la pêche minotière (qui réduit en farines les poissons capturés).
Seule une « poignée » d’espèces, celles qui souvent forment des agrégations et vivent aux abords des monts sous-marins ou sur les marges continentales, sont commercialisables. Celles-ci comprennent l’empereur, les sébastes, le sabre noir, la lingue bleue, les grenadiers… Elles sont caractérisées par une chair ferme adaptée à la navigation dans les courants forts et surtout… aux goûts des humains !
Ces espèces grégaires forment des biomasses locales d’une densité parfois époustouflante.
Lorsque les stocks d’empereurs ont été découverts, un phénomène de « ruée vers l’or » eut lieu avec d’immenses bateaux capables de prendre 50, 60 ou 70 tonnes en un seul trait de chalut de moins de cinq minutes ! Les pêcheurs étaient obligés de chronométrer précisément le temps passé par le chalut dans l’agrégation de peur de perdre leur équipement sous l’effet du poids des captures.
On comprend naturellement que cette abondance localisée ait pu envoyer les signaux d’une manne inépuisable. C’est en effet tout à fait contre-intuitif d’associer une biomasse gigantesque à une vulnérabilité extrême, pourtant, c’est bien ce qui a lieu avec ces populations grégaires. Ces coups de « pêche miraculeuse » masquent une réalité plus complexe, et ô combien plus fragile.
Les espèces grégaires profondes sont caractérisées par de faibles niveaux de rendement durable, une forte vulnérabilité à la surpêche, et des taux de récupération lente. Cependant, leur forte valeur commerciale a encouragé le développement de nouvelles pêcheries les ciblant. Le schéma classique des ces pêcheries profondes est le suivant :
Les caractéristiques écologiques de ces poissons les rendent vulnérables à la surexploitation et lents à s’en remettre. Les captures peuvent être initialement élevées mais le déclin qui s’ensuit est dramatique et très rapide (le cycle de vie d’une pêcherie profonde est de moins de 10 ans en moyenne). C’est pourquoi on dit des stocks de poissons profonds qu’ils sont le plus souvent « extraits » par les pêches industrielles (comme s’il s’agissait d’énergies fossiles non renouvelables) au lieu d’être exploités modérément avec des volumes faibles assurant la durabilité à long terme.
La lingue bleue et le sabre noir ont des durées de vie moyennes (20 à 30 ans) qui contrastent avec les longévités extrêmes (souvent proches ou supérieures du centenaire). Les pêcheurs argumentent qu’une exploitation durable de leurs stocks est possible, sans tenir compte du fait que la pêche a déjà drastiquement réduit les biomasses vierges de ces populations de poissons et qu’un prélèvement durable n’est plus envisageable sans une reconstitution préalable des stocks. Enfin et surtout, les pêches au chalut ne sont par définition pas sélectives. Elles ne peuvent donc en aucun cas garantir un impact modéré sur les habitats ainsi qu’un prélèvement ciblé des espèces qui présentent un profil favorable à une exploitation durable. Dans l’opération de pêche mène systématiquement et fatalement à la capture d’espèces extrêmement vulnérables dont certaines, notamment les requins profonds, sont menacées d’extinction.