01 juin 2016
Une nouvelle étude publiée dans la revue scientifique Marine Policy vient mettre à mal la crédibilité du Marine Stewardship Council (MSC), l’écolabel dominant le marché des produits de la mer. Elle montre que plusieurs pêcheries certifiées « durables » ciblent en réalité des stocks surexploités dont les quotas ne sont pas adaptés.
Les chercheurs ont étudié les données d’effort de pêche et de biomasse des stocks de l’Atlantique nord-est certifiés MSC et situés dans la zone couverte par le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM).[1]
Parmi les vingt stocks pour lesquels les indices d’effort de pêche F et FRMD[2] étaient disponibles, les chercheurs ont montré qu’au moment de leur certification :
Au moment de l’étude, après une durée de certification moyenne de quatre ans, aucun changement significatif n’était observé :
L’argument du MSC selon lequel la certification permettrait aux pêcheries de devenir plus durables ne tient donc pas.
Cette nouvelle étude confirme donc les résultats d’une autre publication parue en 2012 qui montrait qu’au niveau mondial, au moins 31% des stocks certifiés MSC étaient en état de surpêche.[3] Ces résultats avaient alors généré une levée de boucliers du MSC et de certains chercheurs,[4] pour lesquels la définition d’un stock surpêché utilisée dans cette première étude — soit « un stock ayant une biomasse inférieure à celle produisant le Rendement maximum durable (RMD) » — ne correspondait pas à celle officiellement admise au niveau international.[5] En effet à l’époque, s’il y avait bien consensus sur le fait que la surexploitation d’un stock n’était pas souhaitable et qu’il fallait réduire la pression de pêche pour y remédier, peu de monde soulignait qu’il fallait évidemment prendre en compte le délai de reconstitution du stock en question.
Avec cette nouvelle étude, les chercheurs confirment que, même en utilisant une définition plus consensuelle de la surpêche, le MSC ne respecte pas son premier principe censé garantir la bonne santé des stocks de poissons certifiés.
L’étude montre également que le MSC ne suit pas davantage son 3ème principe, selon lequel les pêcheries ne peuvent être certifiées que si elles disposent d’un système de gestion efficace. En effet, les quotas établis peuvent être bien supérieurs (dans le cas de onze stocks sur la zone étudiée) ou inférieurs (trois stocks) aux débarquements des pêcheries certifiées MSC. Les chercheurs ont ainsi calculé que seul un tiers des pêcheries certifiées MSC dans l’Atlantique Nord-Est dispose des quotas adaptés, pourtant un élément clé de gestion des pêches.[6]
Quant au 2ème principe du MSC, qui garantit que les espèces et les habitats marins associés aux pêcheries certifiées MSC sont préservés, c’est celui qui a été le plus critiqué par le passé. Mal défini, il a, dans de nombreux cas, conduit les organismes de certification – payés par les pêcheries – à être outrageusement indulgents envers celles-ci dans l’interprétation des critères.[7] La pêche à la palangre ciblant l’espadon au Canada est ainsi certifiée MSC malgré les niveaux élevés de prises accidentelles qu’elle engendre.[8] Le hoki de Nouvelle-Zélande, pêché au chalut de fond en eaux profondes, est également certifié en dépit de la controverse autour de cet engin de pêche.[9] Si le MSC a un principe auquel il ne déroge pas, c’est bien sa langue de bois au sujet d’une classification des engins de pêche en fonction de leur impact : « tout est question de contexte » d’après le MSC, qui se refuse par exemple à exclure l’accès à la certification au chalutage de fond ou aux pêcheries minotières.[10]
En fait, l’écolabel MSC a encore beaucoup de progrès à accomplir pour atteindre ses objectifs. Malheureusement, si le MSC consulte régulièrement les parties prenantes pendant l’évaluation des pêcheries et pour l’amélioration de son référentiel (consultations qui ont par exemple abouti à une nouvelle version de celui-ci), l’organisation fait toujours front aux critiques systémiques des scientifiques, des ONG et de la société civile. Une étude montrait en 2013 que la plupart des objections formelles faites à la certification de pêcheries (18 sur 19) avaient été rejetées.
D’ailleurs, en moins de temps qu’il n’en aurait fallu pour dire « chalut », le MSC avait déjà sa réponse à l’étude de Opitz et al. (2016).
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Le Marine Stewardship Council (MSC) est une organisation créée en 1997 à l’initiative de deux géants, l’ONG internationale WWF et le distributeur Unilever. Aujourd’hui près de 10% des volumes capturés au niveau mondial sont estampillés « pêche durable » par le MSC.
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[1] Opitz et al. (2016) Assessment of MSC-certified fish stocks in the Northeast Atlantic. Marine Policy 71: 10-14.
[2] L’indicateur F correspond à l’effort de pêche (moyens mis en oeuvre pour pêcher : nombre de navires, taille des navires, temps passé en mer, distances parcourues, nombre d’hameçons, …) opéré sur un stock donné. L’indice FRMD correspond à l’effort de pêche qui permet d’obtenir, à terme, le maximum de captures du stock ciblé années après années. Si le FRMD est dépassé, le stock est alors surexploité et les captures ne sont plus optimisées.
[3] Froese and Proelss (2012) Evaluation and legal assessment of certified seafood. Marine Policy 36: 1284-1289.
[4] Agnew et al. (2013) Rebuttal to Froese and Proelss ‘‘Evaluation and legal assessment of certified seafood’’. Marine Policy 38: 551-553.
[5] Notons que l’année suivante, l’Union européenne validait pourtant cette définition. Voir : Règlement (UE) no 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche. Disponible à : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2013:354:0022:0061:FR:PDF
[6] Une pêcherie débarquant plus de poisson que le quota ne l’y autorise ne pêche pas durablement. L’inverse est également vrai puisqu’un quota trop élevé par rapport aux débarquements implique que le coût de la pêche est supérieur à la valeur des débarquements, indiquant soit une faible demande et des prix trop bas, une quantité trop faible de poissons dans l’eau ou un stock en état de surpêche. Pour plus d’explications lire : Quaas et al. (2012) Fishing industry borrows from natural capital at high shadow interest rates. Ecological Economics 82: 45-52.
[7] Ward (2008) Barriers to biodiversity conservation in marine fishery certification. Fish and Fisheries 9: 169-177.
[8] Jacquet and Pauly (2010) Seafood stewardship in crisis. Nature 467(2): 28-29.
[9] Christian et al. (2013) A review of formal objections to Marine Stewardship Council fisheries certifications. Biological Conservation 161: 10-17.
[10] https://mscpechedurable.wordpress.com/2016/04/07/certains-engins-de-peche-sont-ils-plus-durables-que-dautres/
[11] Consultation MSC Mars-Avril 2016 https://improvements.msc.org