28 janvier 2019
En juin puis de nouveau en novembre 2018, BLOOM et 22 organisations ont demandé à l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), un service de la Commission européenne, d’ouvrir une enquête pour suspicion de fraude à propos du financement public de la pêche électrique aux Pays-Bas. BLOOM a révélé que les chalutiers néerlandais avaient perçu 21,5 millions d’euros d’argent public pour développer la pêche électrique bien que 70 des 84 licences de pêche sont illégales. Notre analyse avait également démontré de nombreuses irrégularités dans l’utilisation des subventions européennes comme une aide de 2,7 millions d’euros allouée au développement d’une technique de pêche explicitement interdite par la loi. Or, malgré les preuves désormais irréfutables de l’usage hors-la-loi des aides publiques que BLOOM a produites et que la Commission n’a pas démenties, l’OLAF a décidé de ne pas ouvrir d’enquête. Mais fait surprenant : cette décision de l’OLAF n’a toujours pas été communiquée aux 23 requérants (ONG et organisations de pêcheurs artisans). C’est la presse néerlandaise qui a divulgué l’information le 18 janvier 2019 !
Vue la clarté du cas de fraude, la conclusion de l’OLAF est incompréhensible sur le fond. Mais au-delà de ça, leur choix de communiquer uniquement à la presse des Pays-Bas cette décision extrêmement bénéfique aux chalutiers électriques néerlandais interroge forcément sur leur neutralité
Frédéric Le Manach, directeur scientifique de BLOOM
Lire nos demandes d’ouverture d’enquête des 13 juin et 6 novembre 2018
Alertée par des chercheurs travaillant sur la corruption au sein des institutions européennes, l’équipe de BLOOM s’est penchée plus précisément sur l’Office européen de lutte antifraude, décrit comme la « police financière » européenne,[1] pour comprendre comment cet organisme de la Commission — supposé produire des enquêtes indépendantes ayant pour objectif de « s’assurer que l’argent des contribuables de l’UE serve à financer des projets susceptibles de stimuler l’emploi et la croissance en Europe » — avait pu conclure à propos de fonds publics accordés à des licences et pratiques de pêche illégales et destructrices de l’emploi ainsi que de l’océan qu’il n’y avait ni « fraude ni irrégularités ».
« Et là, surprise… » indique Frédéric Le Manach. « Nous avons découvert que la personne en charge des enquêtes sur les fonds structurels européens à l’OLAF, Ernesto Bianchi, était chef d’unité à la Direction générale des affaires maritimes et des pêches (DG MARE) — c’est-à-dire le service de la Commission européenne chargé des questions de pêche — entre 2011 et 2015. Soit précisément au moment où la Commission européenne organisait l’expansion majeure de la pêche électrique en Europe ! L’OLAF a donc demandé à l’un des principaux responsables du fléau de la pêche électrique d’enquêter sur ses propres méfaits ! Ce serait comme demander à Jérôme Cahuzac d’enquêter sur ses comptes secrets en Suisse. Pourquoi cet ancien de la Direction des pêches s’épinglerait-il lui-même ainsi que ses anciens collaborateurs ? » questionne le directeur scientifique de BLOOM.
De fait, l’ancienne Unité d’Ernesto Bianchi a fusionné avec celle dirigée par Elisa Roller (toujours en poste à la tête de l’unité créée) en 2015. Or Elisa Roller a pris publiquement position en faveur de la pêche électrique, notamment au cours de l’événement organisé par BLOOM au Parlement européen le 10 janvier 2018. Mme Roller est également à la tête de l’unité qui a proposé en 2014 de faciliter l’expansion de la pêche électrique via l’instrument financier européen dédié au secteur de la pêche (le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche),[2] puis en 2016 de lever les restrictions sur la pêche électrique de façon à la généraliser en Mer du Nord.
Le dossier de la pêche électrique ne cesse de révéler les ramifications profondément toxiques et corruptrices des industriels au sein des pouvoirs publics. C’est comme un mycélium de champignons vénéneux qui déploie des connexions profondes et invisibles
Claire Nouvian, Présidente de BLOOM.
Lire la chronologie de notre campagne contre la pêche électrique et notre document de plaidoyer (en anglais)
Dans cette même logique de chaises musicales des hauts fonctionnaires au service des industriels et non du bien commun, l’adjoint d’Ernesto Bianchi à la Direction des pêches de la Commission (DG MARE) — le Néerlandais Joost Paardekooper — était « Attaché pêche des Pays-Bas à l’Union européenne » entre 2005 et 2009, avant de rejoindre la Commission européenne.[3] « En d’autres termes, les industriels et fonctionnaires néerlandais ont mis en œuvre un dispositif parfait pour prendre en tenailles la décision publique à leur avantage. Les pions étaient placés pour la tempête parfaite : la décision inique, honteuse, inacceptable d’ouvrir les vannes à une pêche destructrice qui n’en finit plus de détruire l’environnement marin et les emplois des pêcheurs artisans. Il est temps que cette tempête se retourne contre les responsables de cette corruption morale destructrice de notre confiance en nos institutions » résume Claire Nouvian.
La date de communication de l’OLAF à la presse néerlandaise ne tient pas du hasard. Pour faire interdire la pêche électrique, il ne reste que quelques semaines avant la dissolution du Parlement européen. Lundi 21 janvier, BLOOM et les pêcheurs artisans d’Europe se réunissaient à Boulogne-sur-mer pour demander aux institutions de soutenir la proposition de compromis actuellement en négociation qui permettrait d’interdire la pêche électrique d’ici le 31 juillet 2019.
[1] Rapport d’information déposé par la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne sur l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) (COM [2004] 103 final/E 2517, COM [2004] 104 final/E 2518), 2004. Disponible à : www.assemblee-nationale.fr/12/pdf/europe/rap-info/i1533.pdf.
[2] La proposition législative du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) prévoyait la possibilité d’augmenter le seuil légal des chalutiers électriques via une mesure de modernisation des flottes. Heureusement, cette mesure préjudiciable a été identifiée et enlevée par le rapporteur du FEAMP, l’eurodéputé français Alain Cadec. Défaits par cette décision, les Pays-Bas ont alors négocié directement avec la Commission et le Conseil et obtenu 42 dérogations supplémentaires, sous prétexte d’un soi-disant « projet pilote » visant la diminution des captures accessoires.
[3] Joost Paardekooper a pris la place d’Ernesto Bianchi en octobre 2015, puis a été remplacé par Elisa Roller lors de la fusion de leurs deux unités en janvier 2016. Il est désormais chef de l’Unité en charge des avis scientifiques et de la collecte de données à la Direction des Pêches (DG MARE) de la Commission européenne.