15 décembre 2020
Les chalutiers géants ne cessent de faire parler d’eux tant l’aversion des citoyens et des pêcheurs à leur encontre est immense.
Face au pillage des ressources mais également de l’argent public, BLOOM tire de nouveau, comme d’autres organisations,[1]la sonnette d’alarme sur un modèle qui appartient au passé, mais pourtant défendu par les politiques publiques.
A l’image du SCOMBRUS, inauguré à Concarneau le 25 septembre 2020 en grande pompe, la plupart des chalutiers géants qui pillent la Manche en hiver appartiennent à des compagnies néerlandaises (voir « aller plus loin » infra). Alors que dans les années 1900, une centaine de compagnies ciblait les espèces pélagiques aux Pays-Bas, elles ne sont plus que trois. Cornelis Vrolijk, Parlevliet & van der Plas (P&P) et Willem van der Zwan détiennent ainsi, par l’intermédiaire de leurs filiales, 17 chalutiers pélagiques géants de plus de 80 mètres pêchant régulièrement dans les eaux européennes. Au départ familiales, ces trois compagnies ont phagocyté de nombreuses sociétés européennes. Leur domination est telle qu’elles sont désormais à la tête d’un empire tentaculaire qui se déploie à travers toute l’Europe. À titre indicatif, P&P possède 43 navires de pêche et plus de 170 filiales actives dans 19 pays (majoritairement aux Pays-Bas, en Allemagne, en France, au Danemark et au Royaume-Uni). Quant à Cornelis Vrolijk, le groupe détient actuellement 93 navires de pêche et une centaine de filiales. En France, Euronor, la Compagnie des pêches de Saint Malo, la Compagnie française du thon océanique (CFTO) et France Pélagique appartiennent à ces firmes néerlandaises.
Non contents de piller l’océan, ces industriels font également financer leurs pratiques destructrices par de l’argent public. Depuis le début des années 1980, l’Union européenne a ainsi déboursé plusieurs milliards d’euros de subventions publiques afin d’exporter sa surcapacité de pêche sous couvert d’accords de pêche — largement décriés malgré leur transparence — ce qui a permis à ses multinationales d’aller pêcher dans les eaux africaines.[2] Chaque année, les deux accords avec le Maroc et la Mauritanie — dans le cadre desquels les chalutiers géants sont actifs — représentent chacun un coût compris entre 50 et 60 millions. d’euros[3]D’autres subventions importantes ont également été attribuées à ces navires. C’est sans compter la détaxe sur le carburant qui s’applique à l’ensemble du secteur de la pêche européenne. Un exemple frappant est celui de l’ANNELIES ILENA, chalutier de 144 mètres pouvant capturer 400 tonnes de poissons par jour. Pour sa construction, ce navire a bénéficié d’une subvention de 100 millions d’euros qui lui a été accordée par le gouvernement irlandais. Comble de l’ironie, il était tellement gros qu’il ne pouvait pas avoir de permis pour pêcher dans les eaux européennes. Après cinq années passées à pêcher en Mauritanie — où il était surnommé le « navire de l’enfer » — le groupe P&P l’a racheté pour la somme de 30 millions d’euros.
Au-delà de l’impact environnemental et social colossal de ces géants, nos impôts servent donc à bâtir des empires financiers et non à protéger les écosystèmes marins et la petite pêche côtière. L’argent public investi leur permet d’atteindre une efficacité toujours plus grande, afin de maximiser la rentabilité des industriels et satisfaire leur appétit vorace.
L’indécence ne s’arrête pas là, puisqu’avec la complicité active du label MSC (Marine Stewardship Council), ces compagnies se donnent l’image d’une pêche responsable et bénéficient ainsi d’un accès préférentiel au marché et d’une immunité politique. En effet, tous ces chalutiers géants européens sont certifiés « pêche durable » par ce label trompeur. Cornelis Vrolijk se vante ainsi sur son site internet d’avoir 92% de ses captures issues de la pêche pélagique certifiées durables. BLOOM avait révélé en mai 2020 que 83% des captures certifiées par le MSC sont en réalité issues de la pêche industrielle destructrice, bien loin d’une pêche durable et des attentes des citoyens.
> Lire notre dossier sur l’imposture du MSC
Il est à noter que le MSC a récemment annoncé la suspension au 30 décembre 2020 du certificat de pêche durable pour ces chalutiers géants, [4]dans le cadre des pêcheries de hareng et de merlan bleu de l’Atlantique Nord Est (dont les captures finissent le plus souvent en farine pour alimenter les élevages terrestres et marins). Toutefois, ce certificat n’est pas suspendu parce que le MSC considère que ces monstres pratiquent désormais une pêche non-durable. Bien au contraire ! La certification a été suspendue suite à un différend entre plusieurs pays au sujet de l’allocation des quotas. Lorsque ce différend sera résolu, le certificat sera de nouveau activé. Les enjeux économiques en jeu étant majeurs, BLOOM fait le pari que le différend sera rapidement réglé.
Les chalutiers géants ne sont que la partie visible d’un problème plus profond, celui d’un modèle qui concentre les quotas et les subventions publiques au détriment de la pêche côtière. Ces firmes ont encore de beaux jours devant elles tant que les représentants des pêcheurs et les décideurs politiques — Commission européenne en tête — resteront complaisants et que les intérêts néerlandais primeront. A l’heure où l’Union européenne a décidé de réintroduire des subventions interdites qui alimentent la surpêche sans en attribuer à la protection du milieu marin, les règles du jeu doivent changer pour mettre fin à la collusion des gouvernements avec les lobbies industriels.
Liste des chalutiers usines de plus de 80m sous capitaux néerlandais
Pavillon | Marquage | Nom | Taille (m) | Compagnie mère |
Allemagne | ROS170 | ANNIE HILLINA | 86,33 | Parlevliet & van der Plas |
Allemagne | ROS171 | MAARTJE THEADORA | 140,80 | Parlevliet & van der Plas |
Allemagne | ROS785 | HELEN MARY | 116,70 | Parlevliet & van der Plas |
Allemagne | ROS786 | GERDA MARIA | 81,32 | Parlevliet & van der Plas |
France | FC716900 | PRINS BERNHARD | 88,24 | Cornelis Vrolijk |
France | CC919999 | SCOMBRUS | 81,37 | Cornelis Vrolijk |
Royaume-Uni | H72 | FRANK BONEFAAS | 119,65 | Cornelis Vrolijk |
Lituanie | KL 855 | MARGIRIS | 136,12 | Parlevliet & van der Plas |
Pays-Bas | KW-172 | DIRK DIRK | 95,18 | Parlevliet & van der Plas |
Pays-Bas | SCH-6 | ALIDA | 99,94 | Willem van der Zwan |
Pays-Bas | SCH-123 | ZEELAND | 114,87 | Cornelis Vrolijk |
Pays-Bas | SCH-81 | CAROLIEN | 126,22 | Cornelis Vrolijk |
Pays-Bas | SCH-24 | AFRIKA | 126,22 | Cornelis Vrolijk |
Pays-Bas | SCH-302 | WILLEM VAN DER ZWAN | 142,50 | Willem van der Zwan |
Pologne | GDY-151 | ANNELIES ILENA | 144,60 | Parlevliet & van der Plas |
Féroé | KG14 | NAERABERG | 111 | Parlevliet & van der Plas |
Russie | UBFR7 | TSARITSA | 125 | Parlevliet & van der Plas |
Notes et Références