08 décembre 2020
Trois ans après une première analyse juridique de la pêche électrique, un nouvel article publié par Michel Morin, Docteur en droit et chercheur associé au Centre de droit maritime et océanique (CDMO) de Nantes,[1] revient sur les avis scientifiques produits par le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM).
Cette analyse se montre on ne peut plus critique quant à l’approche des Pays-Bas et de la Commission européenne visant à promouvoir la pêche électrique ; approche que l’auteur considère comme contraire aux approches de précaution et écosystémique, pourtant piliers de la Politique commune de la pêche.[1]
Dans son premier article « Etude de cas sur des dysfonctionnements de l’Union européenne : l’exemple de la pêche électrique »,[2] Michel Morin avait mis en lumière les artifices juridiques qui avaient permis le retour de la pêche électrique sous forme de dérogations. Il rappelle dans son nouvel article que les Pays-Bas ont introduit ces dérogations dans un règlement destiné aux quotas — contre les avis scientifiques — et qu’ils ont ensuite utilisé certaines manœuvres pour les prolonger. Selon l’auteur, il aurait été possible de contester leur légalité devant la Cour de Justice de l’Union européenne.[3]
Dans son nouvel article, Michel Morin analyse les avis du CIEM et du Comité scientifique, technique et économique des pêches (CSTEP) émis depuis 2006. Il note que malgré des avis défavorables à l’attribution d’une quelconque dérogation en 2006, rien n’a été mis en œuvre pour lever les doutes sur la pêche électrique. En 2009, le CIEM observait un manque de transparence autour des paramètres électrique en raison du secret des affaires. L’auteur s’étonne de cette opacité : « Voici un Etat qui soumet une requête au CIEM en espérant très certainement avoir en retour un avis positif. Mais cet Etat n’a pas été en mesure de fournir toutes les données qui auraient été nécessaires pour que le CIEM émette cet avis en connaissance de cause, alors que ces données font partie des expériences menées par un organisme de recherche sous sa tutelle ! Comment est-ce possible ? Est-ce parce que cette recherche est aussi financée par des fonds privés et que les données qui y correspondent sont considérées comme des données privées et que les personnes privées impliquées dans l’étude refusent de donner leur accord pour les communiquer ? Cela ne peut que susciter des doutes sur la neutralité et l’objectivité de l’étude. »
En 2016, le CIEM estime que les questions restées en suspens ne permettent pas une extension de la pêche électrique qui serait contraire à l’approche de précaution. Cet avis, le dernier en date, reste valable depuis lors. En effet, les deux documents produits par le CIEM en 2018 et en 2020 ne constituent pas des avis : le CIEM a été sollicité par les Pays-Bas pour comparer les effets sur l’environnement du chalut électrique par rapport à ceux du chalut à perche traditionnel. Cette approche tronquée permet de conforter l’hypothèse des promoteurs de la pêche électrique. Selon l’auteur, « Le fait que les demandes d’avis les plus récentes qui ont été adressées au CIEM portent sur une comparaison entre deux engins de pêche qui ont un impact avéré sur l’écosystème suggère qu’il a été volontairement évité de demander un avis sur l’utilisation du chalut à impulsion électrique en tant que tel. C’est comme si les auteurs de la demande craignaient d’avoir en réponse des éléments trop négatifs pour soutenir l’autorisation de cet engin de pêche. »
L’auteur rappelle également la position critique de l’Ifremer publié le 14 juin 2018 et souligne que « l‘avis du CIEM n’est pas un avis favorable au chalut électrique en tant que tel mais un avis comparant les effets des deux engins. Quand cet avis traite des effets à long terme du chalut électrique sur les organismes marins, sur la faune benthique ou sur tout autre effet sur l’écosystème, c’est par comparaison avec les effets du chalut à perche traditionnel. »
Cette approche est également défendue par Didier Gascuel, professeur à l’Institut Agro et scientifique membre du CSTEP qui déplorait le manque de connaissances à l’échelle des écosystèmes. Selon lui, le manque de connaissance faisant consensus, il est nécessaire d’adopter l’approche de précaution.
Sa conclusion est sans appel : se contenter d’une comparaison entre deux engins contrevient à l’approche écosystémique. Michel Morin conclut ainsi : « Pour prendre l’exemple de la pêche à la sole en mer du Nord, l’approche écosystémique implique d’aller au-delà d’une simple comparaison entre deux engins particuliers. Elle suppose d’analyser les incidences des différents engins utilisés pour cette pêche sur l’écosystème de la mer du Nord. C’est en ce sens que la simple comparaison entre le chalut électrique et le chalut à perche traditionnel est insuffisante. Il faut y inclure les autres engins de pêche ciblant la sole. Ce n’est que dans le respect de cette exigence qu’on pourra prétendre que l’approche écosystémique a été correctement mise en œuvre. Une pleine application de l’approche de précaution ne sera effective qu’à cette condition. »
Selon Michel Morin, il n’y a pas lieu de rouvrir le dossier de la pêche électrique. Depuis leur origine, les dérogations n’ont aucune justification scientifique. En effet, il s’agissait de sauver une industrie à l’agonie car très consommatrice de carburant.[4]Depuis, les lobbies tentent de lui trouver des vertus pour justifier leur entreprise destructrice avec la crédulité – si ce n’est la complicité – de la Commission européenne. « Il résulte des différents avis scientifiques qu’une application correcte de ces piliers fondamentaux de la PCP que sont l’approche de précaution et l’approche écosystémique ne permettait pas d’autoriser par dérogation cette pêche électrique en mer du Nord. Cela était valable en 2007 au moment de la première dérogation et l’est resté tout au long de la période qui s’est écoulée depuis. Cela l’était aussi quand le Parlement européen et le Conseil ont autorisé, dans le nouveau règlement 2019/1241 sur les mesures techniques, la poursuite de cette activité jusqu’au 30 juin 2021 et cela le serait toujours si un ou des Etats membres souhaitaient rouvrir ce dossier maintenant puisque, comme on l’a vu, les avis du CIEM de 2018 et 2020 ne lèvent pas les réserves émises en 2016. »
Notes et Références