22 mars 2017
Bonne nouvelle ! L’amendement 105 qui proposait de réintroduire les subventions à la construction de nouveaux bateaux de pêche dans les régions ultrapériphériques de l’Europe[1] a été rejeté ce matin (12 voix contre, 10 pour) par la Commission de la pêche du Parlement européen.
La Commission de la Pêche envoie ainsi un message très fort aux observateurs internationaux : le vote exprime un respect intact pour les Objectifs de Développement Durable (« ODD ») adoptés par l’ONU en 2015, et notamment l’objectif de développement durable n°14 sur les océans en amont de la conférence internationale prévue en juin sur sa mise en oeuvre.
Il est toutefois possible que cet amendement extrêmement dangereux pour les océans et les équilibres économiques du secteur de la pêche soit réintroduit en vue du vote en plénière au Parlement européen le 26 avril prochain.
Les ONG reconnaissent le besoin de modernisation des pêches artisanales de moins de 12 mètres dans les régions ultrapériphériques mais l’enveloppe budgétaire substantielle mise à la disposition du secteur de la pêche par l’Europe comprend déjà tous les mécanismes d’aides qui permettent aux flottes de régler leurs nombreux problèmes.
–> Voir plus bas et voir les articles 26 et suivants du règlement (UE) No 508/2014 relatif au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche qui soutiennent un grand nombre de mesures, de quoi faire pâlir d’envie d’autres secteurs de l’économie puisque le FEAMP soutient, entre autres :
En revanche, rouvrir la boîte de Pandore des aides publiques à la construction, interdites en Europe depuis 2002 justement parce qu’elles ont mené à la catastrophe socio-économique et environnementale que l’on connaît actuellement, est la dernière chose à faire pour aider les pêcheurs artisans. In fine, cela ne ferait qu’augmenter l’effort de pêche et encourager des pêches semi-industrielles ou industrielles à utiliser le mécanisme pour entrer en concurrence avec les pêches locales et plaider pour obtenir la même mesure dans l’ensemble de l’Europe, effet boomerang garanti !
Mise à jour
Dans le contexte tendu que l’on connaît en Guyane, les subventions sont bien évidemment vues comme une réponse politique pour apaiser les mécontents. Ainsi, de l’aveu même de Georges Michel Karam, président du Comité régional des pêches de Guyane, « la pression de la pêche illégale nous contraint d’allonger notre temps en mer”. En augmentant leur pression de pêche, les pêcheurs guyanais peuvent ainsi prétendre au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), mais ce n’est pas en entrant en compétition avec la pêche illégale que nous réglerons le problème !
Les problèmes des pêcheurs artisans sont très réels et ils appellent à la mise en oeuvre d’une feuille de route globale pour venir en aide à un secteur qui a été sacrifié par les politiques publiques au profit des industriels, très (trop) bien représentés politiquement et de ce fait bien plus agiles à capter les subventions et influencer la législation.
Le rapport d’initiative de la députée socialiste allemande Ulrike Rodust (« The management of the fishing fleets in the Outermost Regions ») soulignait « le fait que, dans son rapport de 2016, le comité scientifique, technique et économique de la pêche (CSTEP) n’a pas pu évaluer l’équilibre entre la capacité et les possibilités de pêche pour toutes les flottes opérant dans les RUP en raison de données biologiques insuffisantes. »
Il est en effet impensable et dangereux de songer à étendre la capacité de pêche (ce à quoi le renouvellement des flottes mène immanquablement) sans avoir au préalable dressé le bilan scientifique de l’état des ressources et le bilan socio-économique de l’effort de pêche déployé (qui capture quoi ? Débarque où ? Pour quelle valorisation et valeur ajoutée localement ?).
Un tel audit complet des ZEE ultrapériphériques permettrait de prendre des options rationnelles et fondées scientifiquement et d’imaginer la création d’une pêcherie durable modèle qui ajuster la capacité de pêche à l’état des ressources. Espérons que les députés adopteront l’amendement 19 bis. qui demande une action prioritaire pour la connaissance scientifique des ressources locales. L’amendement « rappelle que les RUP sont dépendantes des ressources halieutiques de leurs ZEE, qui présentent une grande fragilité sur le plan biologique. Estime, notamment à cet égard, que les données halieutiques dans les RUP doivent faire partie des priorités en termes de collecte des données; »
Exiger une transparence totale sur les critères d’allocation des quotas et licences de pêche et des mécanismes de décision des allocations qui en résultent, en exigeant notamment que lumière soit faite sur le système opaque des organisations de producteurs. Le système d’attribution de licences de pêche et de quotas demande une réforme radicale et la mise en oeuvre d’une transparence irréprochable.
Réserver aux bateaux de moins de 12 mètres un droit d’accès exclusif aux eaux et ressources de la bande côtière des 20 milles nautiques.
Assurer la souveraineté alimentaire et économique des régions ultrapériphériques en interdisant l’accès des eaux aux bateaux chinois, surinamiens, brésiliens et consorts. Ces navires d’échelle souvent industrielle mettent en danger la pérennité des pêches artisanales et des ressources locales. L’amendement 107 (du Paragraphe 16 bis) qui préconisait « d’étendre de 100 à 200 milles marins la zone de réserve d’accès exclusif aux flottes locales des RUP » et assurait un accès exclusif des ressources de la ZEE des régions ultrapériphériques aux flottes locales a pourtant été rejeté par les députés (7 pour, 14 contre).
Augmenter les capacités de contrôle et de surveillance des eaux souveraines est une mesure indispensable pour lutter contre la pêche illégale et la pêche non déclarée et assurer que les eaux souveraines, si elles étaient réservées aux flottes locales, ne soient pas la cible de navires voyous.
La mise en oeuvre d’une transparence totale à propos de l’allocation des fonds publics dans le secteur de la pêche permettrait de mettre fin à l’opacité actuelle qui sert les intérêts industriels et met en péril la survie même des pêcheurs artisans.
Alors que la Politique commune de la pêche définit la « petite pêche côtière » comme « la pêche pratiquée par des navires de pêche dont la longueur hors tout est inférieure à douze mètres et qui n’utilisent […] [pas d’]engin remorqué », la France définit la pêche « artisanale » de manière radicale : elle englobe tout navire de moins de 25m[2] avec armateur embarqué.[3] Cette définition est en opposition totale avec les organisations de pêcheurs artisans telles que LIFE ou le World Forum of Fish Harvesters & Fish Workers (WFF).
En outre, le FEAMP soutient les régions ultrapériphériques en offrant un taux de financement plus important et en exigeant une part national moindre dans les investissements.
Le règlement FEAMP prévoit également de nombreux mécanismes de financement spécifiques aux régions ultrapériphériques :
Art. 8.4 : « des aides au fonctionnement dans les secteurs de la production, de la transformation et de la commercialisation des produits de la pêche et de l’aquaculture, visant à alléger les contraintes spécifiques à ces régions liées à leur éloignement, à leur insularité et à leur ultrapériphéricité. »
Art. 13.5 : « Un montant de 192 500 000 EUR des ressources budgétaires visées au paragraphe 1 est affecté à la compensation en faveur des régions ultrapériphériques relevant du titre V, chapitre V. Ladite compensation ne dépasse pas, annuellement : (…)
c) 12 350 000 EUR pour les régions ultrapériphériques françaises visées à l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Le chapitre V est entièrement dédié à la « Compensation des surcoûts dans les régions ultrapériphériques pour les produits de la pêche et de l’aquaculture »
et ainsi de suite…
L’Ile de La Réunion a développé sa propre flotte de palangriers à partir du début des années 1990. Leur nombre a rapidement augmenté jusqu’à atteindre la trentaine au début des années 2000,[4] notamment grâce à la politique de défiscalisation applicable aux départements d’Outre-Mer et aux subventions européennes.[5],[6] Ce développement incontrôlé a conduit à une diminution de la ressource et certains bateaux ont cessé leurs activités dès 2002.[7]
Depuis, le nombre de bateau a de nouveau augmenté, mais leur longueur moyenne est tout de même inférieure.
La « Compagnie des Long Liners » – principale bénéficiaire du régime de défiscalisation en vigueur –[8] a ainsi longtemps été l’acteur majoritaire de ce secteur palangrier. La société exportait la majorité de ses captures vers l’Europe.[9] L’entreprise a été liquidée[10] en 2009 et, depuis, ses bateaux rouillent au Port. D’autres compagnies ont connu la même déconfiture, comme Socopeva et Scopar, dont les bateaux ont finalement été rachetés il y a peu, par la compagnie « Pêche avenir ».[11]
Deux palangriers "défiscalisés" rouillant à quai, janvier 2013. ©F. Le Manach
Lire le courrier envoyé le 16 mars 2017 par 101 ONG aux eurodéputés à ce propos.
Lire l’article du Journal de l’Environnement / Euractiv sur le sujet.
[1] Martinique, Mayotte, Guadeloupe, Guyane, La Réunion, Saint-Martin, Madère, les Açores, et les Canaries.
[2] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000360758&categorieLien=cid
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000022196679&cidTexte=LEGITEXT000006071367
[4] Le Manach et al. (2015) Reconstruction of the domestic and distant-water fisheries catch of La Réunion (France), 1950–2010. pp. 83–98 In Le Manach F and Pauly D (eds.), Fisheries catch reconstructions in the Western Indian Ocean, 1950–2010. Fisheries Centre Research Reports 23 (2). University of British Columbia, Vancouver (Canada).
[5] Anon. (1996) Perspectives de développement de la pêche maritime à La Réunion. Région Réunion, Conseil économique et social régional. 54 p.
[6] http://www.lemarin.fr/articles/detail/items/la-reunion-peche-avenir-rachete-les-six-palangriers-chinois.html
[7] Evano and Bourjea (2012) Atlas de la pêche palangrière réunionnaise de l’océan Indien. Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer (IFREMER), Le Port (France).
[8] René et al. (1998) Evolution de la pêcherie palangrière ciblant l’espadon (Xiphias gladius) à partir de La Réunion. pp. 287-312 In Cayré P and Le Gall JY (eds.), Le thon : enjeux et stratégies pour l’océan Indien. Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer (ORSTOM), Paris (France).
[9] Ibid. Anon. (1996)
[10] http://www.procedurecollective.fr/fr/liquidation-judiciaire/822242/compagnie-des-long-liners-sa-rcs-saint-denis-reunion-b-393-416-565-97-b-105.aspx
[11] http://www.lemarin.fr/articles/detail/items/la-reunion-peche-avenir-rachete-les-six-palangriers-chinois.html