28 juillet 2016
Du 17 au 22 juillet 2016 s’est tenue à Nairobi, au Kenya, la quatorzième réunion de la Conférence des Nations Unies sur le Développement et le Commerce (CNUCED).
Au cours de cette rencontre, 90 pays ont signé une feuille de route qui vise la suppression des subventions à la pêche jugées nocives, c’est-à-dire l’élimination des aides publiques qui contribuent à la surpêche. Portée conjointement par la CNUCED, l’Organisation des Nations unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) et le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), cette initiative s’inscrit dans la continuité des Objectifs pour le Développement Durable (ODD) établis en septembre 2015 par l’ONU. Cette feuille de route reprend en effet la cible 6 de l’ODD 14 qui prévoit l’interdiction, d’ici 2020, « des subventions à la pêche qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche » ainsi que la suppression de « celles qui favorisent la pêche illicite, non déclarée et non réglementée ».
Si cette proposition semble simple a priori – contraindre les pays à ne plus allouer de subventions nocives – signalons toutefois qu’aucune organisation internationale ne dispose de telles prérogatives. Et bien entendu, il ne faut pas céder à l’angélisme en comptant sur la seule bonne volonté des États … Il appartient donc à ces derniers de conduire des négociations jusqu’à parvenir à un compromis au sein des arènes pertinentes.
Actuellement, l’essentiel des discussions internationales portant sur la suppression des aides à la pêche se déroule au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Loin de se préoccuper des questions environnementales, l’OMC a vocation à libéraliser le commerce international en favorisant le libre-échange. De ce point de vue, les subventions constituent, avant tout, un obstacle au commerce mondial car elles créent des distorsions de concurrence (inégalités entre pays). Empêtrée depuis 2001 dans les discussions relatives au Programme de Doha, l’OMC connaît actuellement une crise profonde qui rend peu probable la conclusion rapide d’un accord portant sur les subventions à la pêche.
Dès lors, comment interpréter la feuille de route proposée lors de cette 14è conférence de la CNUCED à Nairobi ? Créée en 1964, la CNUCED est plus particulièrement en charge de l’intégration des pays en développement au commerce mondial. Sa création a résulté de la critique formulée par les pays du Tiers Monde à l’encontre de l’ancêtre de l’OMC, le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce). Ces derniers lui reprochaient en effet d’avoir été pensé par et pour les pays industrialisés.
En signant une telle feuille de route, ces 90 membres de la CNUCED ont donc :
Toutefois, il ne faudrait pas perdre de vue que, dans les négociations internationales sur le commerce, les pays en développement font valoir – à juste titre – le droit à un régime différencié. Dans le cas des subventions à la pêche, la feuille de route de la CNUCED constitue donc également une marque de leur volonté de défendre leurs intérêts en la matière.
De manière générale, si nous observons une multiplication de déclarations depuis quelques années, celles-ci n’ont donné lieu, jusqu’à présent, à aucune initiative concrète visant à mettre un terme aux subventions qui favorisent la surpêche. À l’instar des négociations sur le climat, celles sur la pêche tendent donc à échouer du fait de la lenteur – pour ne pas dire l’inertie – des arènes internationales dont le fonctionnement semble, en réalité, peu approprié.
Les subventions – c’est-à-dire les aides publiques versées directement par un État à une entité privée et/ou les divers allègements de charges consentis par la puissance publique – ont été identifiées comme l’une des principales causes de la surexploitation des stocks de poisson à l’échelle mondiale.
À titre indicatif, la FAO a fait état, dans son dernier rapport paru en juillet 2016, de la dégradation inquiétante des ressources halieutiques à l’échelle mondiale. Selon l’organisation, la proportion des stocks exploités de manière non durable (= surexploités) serait passée, entre 1974 et 2013, de 10 à 31,4%, soit près d’un tiers. Cela signifie que la pression de pêche exercée sur ces ressources est telle que leur pérennité est menacée, ce qui se traduit par des captures inférieures à ce qu’elles pourraient dans un cadre durable. Portant gravement atteinte à l’environnement marin, la surpêche menace donc aussi la sécurité alimentaire, en particulier celle des populations les plus dépendantes des protéines fournies par les produits de la mer. La diminution des captures induite par cette raréfaction des ressources affecte en outre les activités économiques liées à la transformation et à la commercialisation du poisson, privant certaines communautés littorales d’une partie de leurs revenus. Dans certains pays, ce phénomène est encore aggravé par la présence de flottes étrangères qui – soit dans le cadre d’accords, soit parfois en toute illégalité – viennent directement pêcher dans ces eaux afin de répondre à la demande en produits de la mer sur leur marché intérieur.
Depuis le début des années quatre-vingt-dix, la lutte contre la surpêche figure parmi les priorités de l’agenda international en matière de gestion durable des ressources naturelles. À la suite du moratoire canadien interdisant la pêche à la morue à Terre-Neuve en 1992, les scientifiques mais aussi les gouvernements, les ONG et les organisations internationales ont cherché à comprendre les facteurs ayant causé l’effondrement du stock le plus productif d’Atlantique Nord.
En fait, l’industrialisation des flottes de pêche qui s’est opérée à partir de la fin du XIXe siècle et s’est accélérée après la Deuxième Guerre mondiale, s’est traduite par une augmentation sans précédent de l’effort de pêche et ce, grâce à la construction tous azimuts de nouveaux bateaux plus grands et plus puissants, mais également grâce au développement d’engins assurant des rendements inégalés. À l’instar de l’agriculture, cette modernisation du secteur a nécessité le concours financier de la puissance publique. Se sont ainsi multipliés les aides à la construction et à la modernisation, les subventions aux carburants destinées à compenser les surcoûts engendrés par la volatilité des prix du pétrole, les allègements fiscaux et autres prises en charge d’intérêts… C’est donc une panoplie de mesures incitatives qui a été mise en place depuis le début des années cinquante afin de rendre le secteur plus productif, sans prendre en considération les incidences environnementales de tels dispositifs.
En augmentant tout d’abord les capacités de production puis en rendant les flottes artificiellement rentables (grâce à l’abaissement substantiel des charges d’exploitation), les subventions ont constitué des incitations économiques qui ont réduit la propension des pêcheurs à tenir compte des signaux alertant sur l’état biologique des ressources et à réguler leur activité en conséquence. À cela s’ajoutent également les effets incitatifs liés à :
1) l’augmentation continue de la demande en produits de la mer dans les pays industrialisés depuis cinquante ans ;
2) la concurrence mondiale qui a encouragé les États à maintenir des aides substantielles afin que les armements puissent assurer des rendements importants et ainsi rester compétitifs.
Dans une étude publiée en 2016 dans la revue Marine Policy, une équipe de chercheurs de l’Université de Colombie Britannique a estimé que le montant global des subventions allouées en 2009 au secteur de la pêche s’élevait à environ 35 milliards de dollars, dont :
Autant dire que la lutte contre la surpêche nécessite d’interdire préalablement les subventions qui favorisent la surcapacité des navires et d’éliminer celles qui contribuent à rendre les flottes artificiellement rentables.