22 septembre 2020
Avec la rentrée du Parlement européen, les négociations sur le prochain FEAMP (2021-2027) reprennent cette semaine à Bruxelles. La nouvelle réunion de trilogue qui doit se tenir le 24 septembre n’augure cependant rien de bon dans ce dossier déjà très mal engagé pour la pêche européenne.
Face à ce désastre annoncé, BLOOM et les citoyens ont massivement interpellé la Commission européenne en juin dernier afin que celle-ci retire sa proposition de règlement[1]. Compte tenu de ses désaccords avec le Parlement et le Conseil dans ce dossier, une décision de ce type aurait constitué un signal particulièrement fort en obligeant à tout reprendre depuis le début. La Commission aurait ainsi pu montrer sa détermination à ne pas laisser des intérêts industriels court-termistes prendre le pas sur les objectifs de durabilité à long terme que s’est fixés l’Union européenne et pour lesquels elle a pris toute une série d’engagements internationaux.
Malgré la mobilisation citoyenne massive et l’engagement continu de certains députés comme Caroline Roose pour que la Commission fasse barrage à ces mesures ineptes en retirant sa proposition de règlement, cette dernière n’a pas réussi à dépasser le stade du compromis mou. En fait, elle s’est seulement contentée de proposer des conditions supplémentaires à l’obtention des aides controversées et tenté d’instaurer leur plafonnement…
Des propositions aussitôt balayées par le Parlement et le Conseil qui ne cachent même plus leur mépris pour les enjeux de durabilité. À l’instar des derniers développements scandaleux survenus dans le dossier de la pêche électrique, la Commission semble donc incapable de sortir les griffes quand la situation l’exige.
Depuis le mois de juin, un seul changement majeur est intervenu. Depuis le 1er juillet, c’est en effet l’Allemagne qui assume la présidence de l’Union européenne. Visiblement déterminée à clôturer le dossier du FEAMP d’ici la fin de sa mandature[2], l’Allemagne a, par la voix de sa ministre Julia Kloeckner, exprimé une position qui n’a rien de rassurant pour la suite des négociations. Lors de la réunion de la Commission de la Pêche du Parlement européen qui s’est tenue le 3 septembre 2020, cette dernière a ainsi déclaré que les maîtres-mots du prochain FEAMP devaient être « environnement, sécurité à bord et modernisation ».
Pourtant, la modernisation de la flotte telle qu’elle est conçue à ce stade risque précisément de ruiner les quelques progrès qui ont été accomplis par l’Union européenne depuis une quinzaine d’années comme le montre la publication parue en septembre dans la revue scientifique ICES Journal of Marine Science et dont BLOOM est co-auteur. Cette étude montre en effet que les efforts consentis par l’UE pour réduire les aides incitant à la surpêche restent encore très insuffisants compte tenu de l’urgence à régler le problème de la surpêche dans les eaux européennes. La proportion de ces subventions néfastes est ainsi passée de 27% pour la période 2000-2006 à 22% pour la programmation 2014-2020. En dépit de ces avancées, 38% des stocks de poissons sont toujours surexploités en Atlantique Nord-Est et 92% en Méditerranée.
Un tel constat devrait donc convaincre la présidence allemande de ne pas céder aux chants des lobbies industriels qui rêvent de ré-ouvrir la boîte de Pandore des aides à la construction. Or, ces derniers peuvent compter sur leurs fervents soutiens au sein des institutions européennes à l’instar de Gabriel Mato, eurodéputé espagnol membre du PPE (Parti populaire européen) et rapporteur du FEAMP pour le Parlement. Se disant satisfait de l’évolution des négociations avec la Commission et le Conseil, ce dernier a de nouveau tiré à boulets rouges sur les ONG, les accusant de diaboliser des subventions qui seraient, d’après lui, « bonnes et nécessaires ». Son argument-phare – largement repris par d’autres députés favorables à la réintroduction des subventions néfastes – consiste à dire que ces aides ne visent pas « à pêcher plus, mais à pêcher mieux ». Une déclaration d’une mauvaise foi et d’un cynisme rares sachant la fraude massive qui existe sur la puissance réelle des moteurs dans les pays de l’Union européenne ainsi que l’absence totale de prise en compte des moyens déployés par les navires de pêche pour détecter du poisson (ce qui augmente de facto leur capacité).
Alors que les discussions sur un futur accord interdisant les subventions à la pêche dites « néfastes » viennent tout juste de reprendre à l’OMC, de fortes incertitudes existent sur la capacité des États à se mettre d’accord d’ici la fin de l’année. En effet, l’affaiblissement généralisé du niveau d’ambition, la réticence systématique des pays en développement, le double-jeu de l’Union européenne dans ce dossier crucial ainsi que le contexte international propice au repli des États sur eux-mêmes n’incitent guère à l’optimisme. Pourtant, des avancées substantielles à l’OMC pourraient exercer une pression salutaire sur les institutions européennes en les contraignant à s’aligner sur les futures règles commerciales.
[1] Plus de 535 000 emails ainsi que 1300 tweets et messages Facebook envoyés via notre plateforme iPolitics la semaine précédent le trilogue du 12 juin 2020.
[2] L’Allemagne assure la présidence de l’Union européenne du 1er juillet au 31 décembre 2020.