21 mars 2013
Alors qu’hier après-midi, les membres de la plus grande commission du Parlement européen, la Commission Environnement, votaient à une majorité écrasante (58 votes contre 1) une réforme totale du règlement « pêches profondes » et l’élimination des méthodes de pêche les plus destructrices (le chalutage profond et les filets maillants de fond) au-delà de 200 mètres de profondeur, ce matin les coordinateurs politiques de la Commission Pêche donnaient gain de cause aux lobbies de la pêche industrielle en votant des décisions qui mettent en péril la survie même de ce règlement.
Le vote de la Commission Environnement a envoyé un message très fort sur la volonté des citoyens de ne plus tolérer l’existence de méthodes de pêches écologiquement destructrices et économiquement sous-performantes (à titre d’exemple, les neuf navires responsables de 98% des captures françaises d’espèces profondes sont chroniquement déficitaires malgré les millions d’euros de subventions publiques perçus). En contraste radical avec le vote de la Commission Environnement, la décision des six coordinateurs politiques de la Commission Pêche de décaler l’agenda du règlement reporte le débat dans une zone d’inaction dangereuse en raison des élections européennes prévues au printemps 2014.
Sur quoi porte leur décision ? Une nouvelle audition, une nouvelle étude d’impact socio-économique et une nouvelle date butoir pour le dépôt des amendements sur le règlement pêche profonde. L’audition des industriels se ferait le 17 juin et la date limite pour déposer les amendements, initialement prévue le 27 mars, serait désormais en juillet, c’est-à-dire quelques jours avant la fermeture du Parlement pour l’été. Etant donné la lenteur inhérente aux processus politiques communautaires, le report du débat de ce règlement à l’automne signifie que les étapes critiques se retrouveraient noyées par les élections européennes qui auront lieu en mai 2014. Selon le député anglais Chris Davies, la nouvelle étude d’impact socio-économique demandée à corps et à cris par l’élue socialiste de Bretagne Isabelle Thomas « n’a aucun intérêt » puisque la Commission européenne en a déjà produit une en utilisant toutes les données disponibles.
« Les lobbies viennent de réussir un coup politique en obtenant le soutien de quelques députés pour l’organisation d’une seconde audition. Comme s’ils n’avaient pas eu l’occasion d’être entendus au cours de celle du 19 février… » commente Claire Nouvian, qui rappelle que le choix des intervenants pour l’audition sur la pêche profonde qui s’est tenue le 19 février dernier à la Commission Pêche du Parlement s’est fait sur la base de noms proposés par les différents groupes politiques et d’un accord unanime de ceux-ci sur l’agenda finalisé. Le 8 mars, les lobbies de la pêche industrielle dénonçaient une audition partiale dans une lettre commune adressée au président de la Commission Pêche, et cela malgré la présence de chercheurs ouvertement favorables à la pêche profonde qui composaient la moitié des panels.
« La démarche des lobbies de la pêche industrielle prouve qu’ils ne respectent pas plus les processus démocratiques que la production scientifique dès lors que les résultats ne vont pas exactement dans leur sens » ajoute la fondatrice de BLOOM. En effet, après la publication dans une revue scientifique en octobre 2012 d’une étude dont Claire Nouvian était co-auteur et qui démontrait la mauvaise gestion des pêches profondes en Europe, les auteurs de l’analyse avaient reçu une lettre de menace de poursuites judiciaires s’ils ne désavouaient pas leurs résultats. Après vérification des données et réponse aux représentants de la grande pêche hauturière, le silence s’était fait…
« Les lobbies de la pêche industrielle n’ont pas d’autres choix que d’utiliser des méthodes vicieuses pour se défendre d’une réalité objective qui leur est défavorable, pas seulement sur le plan écologique mais aussi économique et éthique… La combinaison de ces facteurs cause une indignation du public contre laquelle tous les coups tordus ne pourront rien » explique Claire Nouvian, qui espère que la Commission Pêche va se ressaisir et reconnaître la nécessité de prendre des mesures fortes pour faire entrer la gestion des pêches profondes dans le 21ème siècle.