04 juillet 2013
Le Nouvel Observateur révèle aujourd’hui un rapport crucial et explosif de la Cour des Comptes sur les aides d’Etat attribuées au secteur de la pêche entre 2000 et 2009. BLOOM a longtemps recherché ce rapport dont l’existence avait été mentionnée par un employé du Ministère de l’Agriculture et de la Pêche en 2010 dans le cadre du Grenelle de la Mer.
« Pas moyen à l’époque de trouver trace de ce rapport que nous avons rebaptisé « le rapport mystère ». Aucune de nos demandes n’a abouti, nous en avons conclu que soit la rumeur de son existence était infondée, soit il avait été classifié confidentiel » résume Claire Nouvian, fondatrice de BLOOM.
En 2008, le chercheur Benoist Mesnil de l’Ifremer avait dressé un bilan sans concessions de trente années d’aides d’Etat à la pêche en France qu’il décrivait comme un « élément intrinsèque » de l’économie de la pêche. Son travail, « Public-aided crises in the French fishing sector », paru en anglais dans la revue scientifique Ocean and Coastal Management s’était attiré les foudres du secteur comme de la présidence de l’Ifremer, et n’avait connu qu’une diffusion confidentielle dans les médias français malgré sa pertinence et sa nécessité. Benoît Mesnil démontrait que les subventions publiques étaient accordées au secteur de la pêche sans cohérence ou objectifs, et résultaient principalement de la pression exercée par les pêcheurs ou leurs représentants sur les pouvoirs publics. Mesnil y démontrait aussi pour la première fois en France que le montant total des aides à la pêche avoisinait la valeur créée par le secteur (environ 800 millions d’euros d’aides annuelles pour 1 milliard de chiffre d’affaires).
Pour finir, Mesnil décrivait le « tabou » que constituait le sujet des subventions publiques à la pêche en France. Le rapport secret de la Cour des Comptes que Le Nouvel Observateur a rendu disponible sur son site n’a pas échappé pas à cette omerta. Que contient-il de si explosif pour que la Cour des Comptes, dont la mission est « d’assister le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement, évaluer les politiques publiques et contribuer à l’information du citoyen », accepte de l’étouffer ?
Le rapport montre que le secteur de la pêche en France ne doit sa survie qu’à l’allocation massive et constante de fonds publics. Ainsi en 2008, en dehors du segment de la pêche industrielle pour lequel les données n’étaient pas disponibles, le cumul des aides représentait 2,5 fois l’excédent brut d’exploitation (EBE) moyen du secteur et quatre fois son résultat net après impôts ! Le document met directement en cause la Direction des pêches maritimes et de l’aquaculture (DPMA) en écrivant que celle-ci « ne dispose pas d’une vue exhaustive des aides au secteur de la pêche, faute de connaître celles des collectivités territoriales » que le rapport décrit comme un « trou noir ». La revue des aides par la Cour mène à la conclusion que les subventions sont « supérieures au chiffre d’affaires si on inclut les aides à la protection sociale » et représentent, « si on ne les inclut pas, un montant significatif de leur chiffre d’affaires et probablement plus de trois fois leur excédent brut d’exploitation, ceci hors dépenses fiscales et aides des collectivités territoriales. »
L’analyse de la Cour des Comptes dénonce également les incohérences des aides consenties, qui ne répondent aucunement aux objectifs fixés par le cadre réglementaire européen. Le rapport secret de la Cour dénonce même la contre productivité des aides publiques puisqu’elles ont échoué à maintenir l’emploi, préserver les ressources naturelles et les écosystèmes marins ou endiguer l’érosion économique du secteur.
Elles ont en revanche contribué à amoindrir la résilience du secteur de la pêche aux fluctuations des prix du gasoil en empêchant la réflexion sur l’absence de performance économique ou sur la conversion des méthodes de pêche. Les aides publiques ont ainsi « contribué à la pression excessive sur les stocks de poissons, pendant les nombreuses années où prédominaient des aides à la construction et à la modernisation, qui ont accru la capacité de pêche ».
L’accroissement de l’effort de pêche « engendre à terme une contraction des stocks de poissons, une diminution des captures et une baisse de la rentabilité des entreprises. »
Ce dernier point est d’une importance capitale dans le contexte actuel puisque la Commission de la pêche du Parlement européen s’apprête à voter, le 10 juillet 2013, le rapport du député breton Alain Cadec sur l’outil financier de la pêche européenne (le « FEAMP » : Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche), soit un enjeu d’un minimum de 6,5 milliards d’euros à allouer entre 2014 et 2020. Or Alain Cadec propose une réintroduction des aides à la construction des navires, interdites en Europe depuis 2005 en raison même de leur perversité.
« Sous prétexte de vouloir renouveler la flotte artisanale vieillissante et de réaliser des économies d’énergie, la mesure proposée s’inscrit dans la droite lignée de la tradition française d’assistance économique à un secteur qu’il faudrait pourtant profondément restructurer pour l’amener à la durabilité socio-économique et écologique ainsi qu’à la viabilité opérationnelle » réagit Claire Nouvian, directrice de BLOOM.
« Elus et pouvoirs publics portent la responsabilité de l’échec du secteur de la pêche qui ne parvient pas à exister sans les ponctions financières massives qui sont réalisées à son profit dans d’autres secteurs rentables de l’économie » poursuit Claire Nouvian. « Ce rapport agit comme une bombe au moment où les parlementaires s’apprêtent à voter un règlement qui propose, en somme, de reproduire les erreurs du passé qui ont mené le secteur et les écosystèmes marins à l’état de sursis dans lequel ils sont. »
Du côté des pouvoirs publics, les politiques d’aides au secteur de la pêche remplissent un objectif principal : l’achat de la paix sociale à court terme. Du côté du secteur, le court terme prévaut également : la survie des entreprises, la protection des investissements, le maintien du modèle économique et écologique actuel même si celui-ci implique un pis-aller. Alors que le constat d’échec est cuisant, nos élus et gouvernements envisagent, sans être passés par l’étape pourtant essentielle d’auto-critique et d’évaluation de l’efficacité des politiques menées, de reproduire les recettes de la catastrophe. Peut-être temps pour les Parlementaires de reprendre le contrôle d’un système « entre amis » qui est parti à vau-l’eau…
Lire l’article : 4 juil 13 Nouvel Obs Le dossier noir de la pêche française
Lire l’analyse de BLOOM : Analyse-de-BLOOM-Rapport-secret-Cour-des-Comptes
La contribution de Claire Nouvian après parution de l’article du Nouvel Obs