07 mars 2019
La Commission de la pêche du Parlement européen choisit la destruction de l’océan plutôt que sa protection.
Cataclysme pour l’océan.
Aujourd’hui, 24 des 27 députés membres de la Commission de la pêche du Parlement européen votaient le Règlement qui déterminera l’allocation de plus de 6 milliards d’euros de subventions publiques au secteur de la pêche, à l’aquaculture et à la protection de l’environnement marin pour la période 2021 à 2027. Alors que les nations membres de l’Organisation mondiale du commerce cherchent à interdire multilatéralement les subventions qui favorisent la surcapacité des flottes et la surpêche, les parlementaires, eux, viennent de désavouer l’engagement de l’Union européenne auprès de la communauté internationale en proposant au contraire de réintroduire ces aides néfastes. Une série d’amendements rétrogrades,[1] adoptée à 12 votes contre 9, permet de financer la construction, le renouvellement et la modernisation des flottes de pêche européennes et donc d’accroître la pression sur les populations de poissons et les milieux marins.
« Les aides à la construction étaient interdites en Europe depuis 2005. Les eurodéputés ont donc agi en parfaite connaissance de cause et à dessein » déplore Mathieu Colléter, chargé des relations institutionnelles chez BLOOM. « Ils viennent de décider, en leur âme et conscience, de balayer d’un revers de main tous les objectifs que s’est fixés l’Union européenne pour mettre un terme à la surpêche et à la surcapacité alors que 69 % des stocks de poissons sont encore surexploités en Europe. C’est un désastre.»
« C’est un vote décomplexé contre l’environnement » se désole Valérie Le Brenne, chargée de recherche sur les subventions chez BLOOM. « Les députés avaient la possibilité d’ériger le prochain Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (2021-2027) en puissant levier financier de restauration des écosystèmes marins et de sauvegarde des pêcheurs en Europe mais au lieu de cela, ils ont fait sauter tous les verrous réglementaires qui tentaient de freiner la surexploitation des ressources. » Des amendements soutenus par les ONG[2] proposaient d’allouer au moins 25% du budget européen à la protection de l’environnement marin et 25% à la surveillance des activités de pêche et à la collecte de données scientifiques pour améliorer la gestion des ressources sauvages. Ces pourcentages ont été fixés respectivement à 10% et 15%.[3]
Adopté à 19 voix contre 5, un compromis[4] dont la nocivité dépasse la fiction, proposé par le rapporteur du texte, l’Espagnol Gabriel Mato (PPE), connu pour être le bras armé des lobbies industriels au Parlement européen, dispose que 60% du Fonds européen puisse être alloué à l’investissement dans les flottes de pêche européennes ! Dans son communiqué du 6 mars, le directeur scientifique de BLOOM, Frédéric Le Manach rappelait en quoi les eurodéputés de tous bords politiques, formant une « coalition du déni », n’arrivaient pas à se départir « d’un productivisme totalement suranné ». L’OCDE a en effet montré que les aides contribuant à réduire les coûts des pêcheurs provoquaient la plus forte augmentation de l’effort de pêche et engendraient la surpêche. La position de l’OCDE fait écho aux recommandations scientifiques de ces trente dernières années et à l’engagement pris par la communauté internationale en 2015 à l’ONU d’interdire les subventions publiques encourageant la surpêche et la surcapacité des flottes d’ici 2020 (ODD 14.6).
20 des 27 compromis proposés par Gabriel Mato étaient particulièrement néfastes pour l’avenir des océans et des mers en Europe. Ils ont tous été adoptés. L’un de ces compromis[5] (adopté à 12 voix pour, 9 contre) permet d’aider les « jeunes pêcheurs » à s’installer, mais alors que la Commission européenne proposait une définition généreuse de la jeunesse à « moins de 40 ans d’âge », le Parlement a fait sauter cette contrainte. Tout pêcheur souhaitant être aidé financièrement pour l’acquisition d’un navire de pêche serait donc désormais considéré « jeune », sans limite d’âge ! Le même article ouvre également les vannes au subventionnement de la construction de bateaux neufs. Outre la réintroduction des aides à la construction, au renouvellement et à la modernisation, un amendement adopté propose de redéfinir la petite pêche artisanale dans les régions ultrapériphériques de l’Europe[6] ce qui permet aux industriels de bénéficier d’aides publiques qui leur étaient interdites jusqu’ici.
De surcroît, les aides à l’arrêt définitif d’activités (plus connues sous le nom de « Plans de sortie de flotte »), qui permettent à un bateau de bénéficier de subventions pour être démoli, ont été réintroduites. Pourtant, leur inefficacité pour lutter contre la surcapacité a été amplement démontrée.[7]
« La Commission de la pêche du Parlement était déjà totalement délégitimée tant elle est familière de compromissions honteuses avec les lobbies de la pêche, mais là, l’incurie des parlementaires monte d’un cran » s’indignait Claire Nouvian, fondatrice de BLOOM. « Les députés qui votent de telles dispositions productivistes à l’heure où les climatologues ont déclenché l’alerte rouge pour l’océan et le vivant sont des dangers publics empêtrés dans le déni. Le Parlement devrait dissoudre cette Commission toxique qui met notre avenir en péril et nous fait perdre notre temps et notre énergie. Il semblerait que l’unique mission de la Commission PECH soit de fournir la manne financière qui alimente un secteur sous perfusion d’argent public. Seule la Commission environnement devrait s’exprimer sur des enjeux concernant les équilibres fondamentaux de la planète. »
BLOOM appelle d’emblée les citoyens et les députés à se mobiliser en force pour faire barrage à ces compromis honteux, de façon à ce qu’ils soient rejetés au moment du vote en plénière. Celui-ci est pressenti pour avoir lieu en avril 2019, au cours de l’une des deux dernières sessions plénières du Parlement avant les élections européennes.
[1] Les amendements similaires ou proches déposés par les députés ont été réunis dans des compromis. Ici, il s’agit du compromis n°8 portant sur l’article 16 « Investments in small-scale coastal fishing vessels ».
[2] BirdLife, ClientEarth, Seas At Risk, WWF.
[3] Il s’agit du compromis n°3 portant sur l’article 6 « Budgetary resources under shared management ».
[4] Le compromis n°3 sur l’article 6 (« Budgetary resources under shared management ») dispose : « 2b (new). At least 10% of the Union financial support allocated per Member State shall be allocated to improving the safety, working and living conditions of the crew, training, social dialogue, skills and employment. However, the Union financial support from the EMFF allocated per Member State for all investments on board shall not exceed 60% of the Union financial support allocated per Member State. »
[5] Il s’agit du compromis n°8 portant sur l’article 16 « Investments in small-scale coastal fishing vessels ».
[6] Il s’agit de l’amendement 362 qui modifie l’article 3 point 14 afin de laisser aux États membres la possibilité de définir ce qu’est la petite pêche dans les régions ultrapériphériques.
[7] European Court of Auditors, Special Report No 12 “Have EU measures contributed to adapting the capacity of the fishing fleets to available fishing opportunities?”, 2011.