10 juillet 2018
Une chronique de Claire Nouvian, fondatrice de BLOOM
Une version raccourcie de cet article est parue dans le magazine L’OBS, n°2800, semaine du 5 au 11 juillet 2018
On se demande quand ça va s’arrêter. Cette façon de mettre en péril les fondements mêmes de notre démocratie en instituant le mensonge systémique et la trahison répétée des pouvoirs publics à leur mandat de protection de l’intérêt général. La semaine dernière encore, la France et la Commission européenne se sont distinguées dans un acte de flagrante violation du droit international. Alors qu’en 2006, les nations se sont engagées[1] à « agir en urgence » pour protéger en haute mer les écosystèmes marins vulnérables, la France et la Commission européenne ont bloqué, lors d’une réunion de l’APSOI (Accord relatif aux pêches du Sud de l’Océan Indien), la fermeture de cinq zones aux engins de pêche entrant en contact avec le fond.
En s’opposant à la protection des coraux, des éponges et autres animaux des grandes profondeurs, la France se comporte en Etat voyou qui piétine les résolutions de l’ONU à la barbe du monde pour satisfaire l’appétit insatiable de ses flottes de pêche industrielles, portées à bout de bras par les subventions publiques. Dans un énième épisode de trouble de la personnalité, la Commission européenne s’est, quant à elle, prise pour la représentante des pêcheurs industriels espagnols dont elle a obtenu qu’ils puissent continuer à capturer des milliers de tonnes de requins profonds, extrêmement vulnérables.
Mais la défense du bien commun ? me demanderez-vous.
Quelle blague…
Nos pouvoirs publics ont vendu l’idéal de démocratie à une poignée d’industriels. Et pour masquer cette brutale réalité, on produit de grands et beaux discours, on prend des engagements ambitieux, on fait des déclarations poignantes…
Puis on les trahit.
En 1982, l’un des piliers fondamentaux de la convention sur le Droit de la Mer était ainsi le partage juste et équitable des ressources non vivantes se trouvant en eaux internationales. L’exploitation de minerais dans les océans profonds devait bénéficier « à l’humanité tout entière ». C’est dans cet esprit que l’Autorité internationale des Fonds Marins a été pensée, sur le principe d’une voix par pays. Or ce système donnait un tel ascendant aux pays du sud qu’il a été modifié pour empêcher la règle de la majorité. Voilà comment l’Autorité pour les fonds marins est devenue structurellement incapable de jouer son rôle de gardien du bien commun. Sous la coupe de techno-prophètes qui « s’enthousiasment »[2] pour l’ouverture d’un nouveau cycle destructeur de ressources non-renouvelables (les dépôts métallifères accumulés depuis des millions d’années au fond des océans), l’Autorité internationale des Fonds Marins accorde à tour de bras des permis « d’exploration » avec le prisme assumé que l’extraction de minerais est inévitable.
Or c’est faux. L’extraction minière profonde peut être évitée. Et doit l’être.
Les chercheurs ont alerté sur le fait que l’extraction de minerais entraînerait des pertes de biodiversité irréversibles. Parallèlement, l’université de Technologie de Sydney a calculé que la transition aux énergies renouvelables pouvait être assurée d’ici 2050 sans matériaux issus des profondeurs. De leur côté, Panasonic et Tesla ont montré qu’ils pouvaient relever le pari d’une innovation économe en matières premières en annonçant la production de batteries sans cobalt.
Alors pourquoi accepter qu’un organisme aussi opaque et structurellement illégitime que l’Autorité internationale des Fonds Marins décide de l’avenir de la dernière frontière du monde, une zone qui représente 54% de la surface de la Terre ? Comment même envisager de reproduire les erreurs du passé, en se rendant dépendants d’une nouvelle ressource fossile, après les cycles du charbon et du pétrole, tandis que moins de 1% des métaux précieux (les terres rares) sont actuellement recyclés et que, comme le rappelle le philosophe Dominique Bourg « les fruits de la croissance se sont métamorphosés les uns après les autres en poisons » ?[3]
Alors que s’ouvre un nouveau cycle de négociations à huis clos, les associations environnementales réunies par Seas At Risk implorent l’Autorité internationale des Fonds Marins d’arrêter la fuite en avant productiviste. « Stop and think ! » leur assènent-elles, leur rappelant ainsi que perdre le pouvoir de dire non, notamment à la technologie, c’est perdre notre liberté et notre humanité.
[1] Par le biais de la résolution onusienne 61/105
[2] Voir l’article des Echos du 25 juin 2018 intitulé “Les abysses, nouvel Eldorado minier”
[3] Dominique Bourg, Une Nouvelle Terre, Desclée de Brouwer, 2018
45 ONG, dont BLOOM, ont soumis un texte commun à l’Autorité Internationale des Fonds Marins en commentant le plan stratégique de celle-ci. Une lecture FONDAMENTALE (en anglais). Nous lui demandons de protéger l’environnement marin des dégâts irréversibles causés par l’extraction minière, de réformer sa gouvernance, d’assurer la transparence de ses opérations et de remettre en cause le supposé « besoin » de minerais profonds.
Le 2 juillet 2018, l’Autorité internationale des Fonds Marins (International Seabed Authority) a entamé une série de réunions, non ouvertes aux observateurs. Les ONG, y compris BLOOM, ont demandé une refonte complète de la gouvernance de l’Autorité, parmi d’autres demandes cruciales. Lire notre communiqué de presse ici.
Le 17 janvier 2018, le Parlement européen a voté en faveur d’un moratoire sur l’extraction minière profonde grâce à la campagne menée par quelques ONG, notamment Seas-At-Risk. Lire ici.
Lire la publication scientifique « Should deep-sea mining be allowed? » de Rakhyun E. Kim, disponible sur le site de la Deep Sea Conservation Coalition.
Le 29 juin 2018, la Deep Sea Conservation Coalition dénonçait les agissements de la Commission européenne dans l’Océan Indien. Lire leur communiqué (en anglais).
Pour suivre le débat sur l’extraction minière en profondeur sur Twitter, recherchez le hashtag #KeepItInTheSeabed